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notre passage. Nous sommes cinq, nous avons déjà la main sur nos armes ; les zeibeks sont gens à juger rapidement une situation ; ils se rangent et nous font un salut que les zaptiés leur rendent avec courtoisie.

Mais nous n’avons pas fait une demi-lieue qu’une bande plus nombreuse vient à nous. Dix hommes armés nous environnent, parlant tous ensemble avec volubilité ; nous pourrions croire à une rencontre plus fâcheuse que la première, si la tenue des assaillants, différente de celle des zeibeks, et les éclaircissements que notre compagnon de voyage nous fournit, ne venaient aussitôt nous rassurer. Nous avons affaire cette fois au mudir de Nymphi ; à la tête de ses zaptiés, il poursuit les zeibeks que nous avons rencontrés ; il les accuse d’avoir, le matin, fait un mauvais coup dans le voisinage. Après nous avoir demandé des renseignements, cette troupe repart trop bruyamment pour avoir chance d’atteindre sa proie.

Il est presque nuit quand nous traversons Nymphi (Nif), village pittoresque serré de près par de grands rochers. À quelque cent mètres en dehors, sont les ruines d’un vaste bâtiment carré, palais construit par l’empereur Andronic le Jeune.

À partir de ce point nous cheminons à tâtons par des sentiers pierreux et accidentés ; il nous faut, de temps à autre, mettre pied à terre pour reconnaître notre route. Parfois nous passons près d’un campement de yourouks dont les gros chiens, éveillés en sursaut, accourent vers nous et nous poursuivent de leurs aboiements. Mais les bivacs les plus nombreux sont établis sur le penchant des montagnes qui relient le Tmolus à la mer, et dont nous longeons la base. On y voit briller une ligne de feux non interrompue, sur une longueur de plusieurs lieues ; c’est une illumination d’un effet grandiose, dont les reflets lointains ne peuvent toutefois éclairer notre marche.

Éphèse : Vue d’ensemble des ruines prise du mont Prion (voy. p. 271).

À onze heures seulement, nous entrons dans Smyrne après avoir franchi, sur le pont des caravanes, ce poétique Mélès aux bords duquel naquit Homère[1]. Vers minuit, nous dînons à l’hôtel des deux Auguste où nous savourons bientôt, comme à Brousse quinze jours auparavant, le bien-être d’une installation confortable.

Du reste, il est prudent, en général, de ne point entreprendre d’excursions nocturnes aux environs de Smyrne ; on y est moins en sûreté qu’au cœur même de l’Anatolie ; des aventuriers, et souvent des bandes organisées, s’y tiennent presque toujours aux aguets ; il y a peu d’années, deux chefs de brigands fameux, Yani-Caterdgi et Simos, Grecs tous deux, y répandirent longtemps la terreur[2].


XI


Smyrne. — Aspect. — La ville ancienne. — Tombeau de Tantale. — Ruines du mont Pagus. — Les chemins de fer de la Turquie. — Aya-Slouk. — Ruines d’Éphèse.

Je ne m’arrêterai pas à donner la description de Smyrne ; cette ville est connue de tous ceux qui ont navigué dans le Levant. En arrivant d’Europe, on y trouve un spécimen intéressant des mœurs orientales ; quand on vient, au contraire, de l’intérieur du pays, on peut déjà se croire à Marseille. Si, en effet, sur les 115 000 habitants qui peuplent Smyrne, les Turcs comptent presque pour moitié, les Grecs, les Arméniens, les Juifs et les Européens prennent seuls part au mouvement extérieur ; eux seuls y sont en scène, pour ainsi dire ; leurs quartiers bordent le port ; quelques-unes de leurs rues

  1. Les poëtes de l’antiquité ont souvent attribué à Homère le surnom de Mélèsigène ; on n’ignore pas toutefois que sept villes se disputaient l’honneur de lui avoir donné le jour :

    «Smyrna, Chios, Colophon, Salamis, Rhodos, Argos, Athenæ,
    Orbis de patriâ certat Homere, tuâ.
    »

  2. On peut lire le récit dramatique de l’une des expéditions de Simos dans l’ouvrage intitulé : La Turquie contemporaine, par William Senior.