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sont bien pavées et garnies de jolies maisons devant lesquelles les femmes aiment à se reposer. Le soir, les tavernes demeurent ouvertes ; des matelots de toutes les nations s’y donnent rendez-vous, et l’on entend des chants joyeux jusque bien avant dans la nuit. Aussi les Turcs, saisis d’horreur, l’appellent-ils Smyrne l’infidèle (Giaour-Izmir) ; les Grecs et les Francs la nomment le Paris de l’Orient.

Ses mosquées n’ont rien de particulièrement remarquable, son bazar n’est pas aussi bien fourni que celui de Constantinople, et, sous le rapport commercial, elle a beaucoup perdu depuis qu’un service de bateaux à vapeur relie directement avec la capitale les ports de la Syrie et ceux de la mer Noire.

Mais ce qu’on ne peut lui enlever, c’est la beauté de son climat et le charme de sa situation au fond d’un golfe admirable, au pied des montagnes, dans un pays couvert d’une riche végétation. Aussi méritera-t-elle toujours les épithètes dont les poëtes se sont plu à la gratifier : la couronne de l’Ionie, Smyrne l’aimable, l’œil de l’Anatolie, la perle de l’Orient.

Le mont Pagus seul offre des vestiges d’antiquités : quelques débris des murs de l’Acropole et d’un théâtre, et les ruines du château construit, au moyen âge, par les empereurs de Byzance et occupé, dit-on, quelque temps, par les Génois[1].

Du reste, la Smyrne du mont Pagus ne date que des princes successeurs d’Alexandre ; la ville primitive était située, à une lieue au nord de la ville actuelle, sur l’emplacement de l’antique Sypile, là où se voient encore plusieurs tumulus. Le plus élevé de ces tertres est considéré généralement comme étant le tombeau du roi Tantale dont la Fable s’est plus occupé que l’histoire.

Éphèse : Ruines du Gymnase (voy. p. 272).

Des hauteurs du Pagus, on jouit d’une vue magnifique sur la ville et sur le golfe. Parmi les autres ruines, on y remarque une construction voûtée ; elle passe pour un débris de l’église dédiée à saint Polycarpe, disciple de saint Jean et premier évêque de Smyrne, martyrisé près de là, dans l’amphithéâtre, à l’âge de quatre-vingt-six ans. Que de changements, que de révolutions depuis lors ! Cependant, la religion prêchée par saint Polycarpe, n’est point entièrement bannie de Smyrne ; on y compte douze mille catholiques, plusieurs églises, des colléges et des écoles tenus par les Lazaristes, les frères de la doctrine chrétienne, les sœurs de Saint-Vincent de Paul, et un hôpital français qui contient soixante lits.

Il fallait autrefois deux jours pour se rendre à cheval de Smyrne à Éphèse ; c’était un voyage périlleux ; mais, très-peu de temps avant notre arrivée, avait eu lieu l’ouverture de la première section du chemin de fer de Smyrne à Aïdin.

Il existe aujourd’hui deux chemins de fer dans l’empire ottoman : celui dont il est ici question, et un autre en Europe, aux bouches du Danube, entre Tchernavoda et Kustendjé. Tous deux appartiennent à des compagnies anglaises. La ligne de Smyrne à Aïdin doit avoir un développement de cent dix kilomètres ; elle vient d’être livrée à la circulation sur une longueur de soixante, environ.

La province d’Aïdin, comprend tout le bassin du Méandre ; elle est fertile en produits agricoles, raisins, figues, tabacs. Le transport de ces denrées, effectué jusqu’ici à dos de chameau, coûtera dix fois moins cher quand le chemin de fer pourra s’en charger.

Rien n’est curieux comme le bariolage que présente le personnel des voyageurs et des employés. Ceux-ci, pour la plupart, arrivent d’Angleterre ; mais, parmi les

  1. Les Génois, au moyen âge, parvinrent, le plus souvent à prix d’argent, à établir beaucoup de comptoirs fortifiés sur les côtes de l’Asie Mineure ; leur souvenir y est demeuré présent ; aussi toute ruine située dans le voisinage de la mer est, pour les habitants du pays, un château génois ; il ne faut pas se laisser prendre à ces indications.