lui être de quelque consolation, l’assurant que, s’il pensait autrement, nous nous garderions de lui être une cause d’importunité. Il nous fit répondre aussitôt que nous serions les bienvenus ; en effet, il écouta attentivement tout ce qu’il nous parut bon de lui dire sur la charité et sur la foi dans un sens général, car notre respect pour les sentiments de tolérance et de fraternité chrétiennes nous interdisait de troubler en rien, à ce moment suprême, les convictions auxquelles il était resté fidèle depuis son enfance. Il récita ensuite avec une profonde dévotion ses deux hymnes favorites : Alles ist an Gottes Segen, et Gott Lob, wenn ist es wieder Morgen, et il nous pria de vous engager à les enseigner à vos enfants, et de leur recommander de se les rappeler toute leur vie, ajoutant qu’elles avaient toujours été pour lui une source de grand encouragement et de paix, et particulièrement pendant ces dernières heures du 20 août.
« Il dit aussi qu’il aurait bien voulu recevoir la communion selon les formes du culte luthérien ; mais il était impossible de satisfaire à son désir, parce qu’il n’y avait point là de ministre luthérien. Nous l’avons tranquillisé sur ce point, en l’assurant que notre Seigneur et Sauveur est certainement avec tous ceux qui, comme lui, le cherchent avec sincérité et observent sa loi dans la vie et et l’heure de la mort.
« Plusieurs heures s’écoulèrent dans ces échanges de bonnes pensées. Ses dernières paroles furent une tendre prière au Très-Haut pour qu’il eût pitié de vous et de ses enfants, et nous lui dîmes qu’il pouvait avoir toute confiance dans la bonté céleste. »
Jean Palm mourut avec un courage héroïque.
La nouvelle de cette mort se répandit dans toute l’Allemagne avec la rapidité d’un coup de foudre. Elle n’intimida personne, comme on l’avait espéré ; au contraire, elle souleva dans toutes les âmes une indignation profonde. Aujourd’hui encore on ne prononce en Bavière le nom de Palm qu’avec une douleur mêlée de ressentiment. En 1862, on a élevé au pauvre libraire nurembergeois une statue sur le lieu même où il a été supplicié.
Je rentre à l’hôtel. On m’invite à m’inscrire sur le livre des voyageurs. Qui résiste jamais à la curiosité de le parcourir ? On désire, on espère vaguement y rencontrer le nom d’un ami ou seulement d’un compatriote. À travers des centaines d’Anglais et d’Allemands, j’arrive à un unique Français. Quel était-il ? Le sommelier me dit que cet individu faisait beaucoup rire les habitués et tout le personnel de M. Paul Galimberti. On l’avait surnommé : Monsieur vive l’argent ! parce qu’il avait toujours les mots vive l’argent à la bouche. Ce représentant de la France, si jovial, colportait des échantillons de fil de fer. C’est bien. Le fer vaut l’argent, l’or et plus. La plus modeste industrie a le droit de lever la tête haut. Un riche négociant est même aujourd’hui un homme de bien autre importance qu’un savant ou un philosophe. À chacun son tour, dit-on. Rien de mieux. Mais qui que l’on soit, il serait bon d’aimer à faire respecter un peu, en quelque pays qu’on se trouve, la dignité de la patrie : la qualité de Français oblige.
Parmi les Anglais qui prennent leurs repas aux mêmes heures que moi se trouve un jeune adolescent, élève d’Eton, je suppose, qui lit et apprend par cœur tour à tour Homère et Virgile. Son gouverneur ou précepteur, est un vieillard dont le visage sérieux et la physionomie triste m’intéressent plus, ce me semble, que de raison. Qu’il paraît malheureux ! Quelles ombres sur ce front ! Quelles angoisses dans ces yeux ! J’imagine qu’il lui a fallu, pour faire un tour d’Europe avec cet écolier, abandonner son foyer, sa femme, ses enfants. Il corrige parfois avec une ardeur singulière les épreuves d’un ouvrage d’érudition latine : c’est un dernier espoir de gain