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que le pal des Turcs. Il est présumable que faire simplement trancher la tête, ce qui est le genre de mort habituellement appliqué à nos missionnaires, est regardé comme un acte de clémence.

M. Pallu affirme que l’habitant de la Cochinchine n’a aucune aptitude pour le commerce. C’est encore une éducation à faire, et une des plus difficiles, peut-être. Le peu de trafic qui se fait à l’intérieur a pour objet principal le riz. Livré à lui-même, l’Annamite n’en cultive que ce qu’il lui faut pour vivre. Il n’y a dans le pays, à vrai dire, que deux occupations régulières, cultivateur et batelier ; deux professions qui semblent s’exclure, et qui par le fait s’accordent très-bien, à cause du retour périodique des saisons et des inondations. Cette vie sans attache est bien en rapport avec leurs goûts ambulatoires. « Que fais-tu ? — Lam roï, je cultive le riz. — Où vas-tu ? — Di doï, je vais me promener. » Pour le grand nombre, cela résume toute la vie.

Ils ont quelques cannes à sucre, — ce qu’il en faut pour leurs besoins. Le sucre qu’ils en extraient est bon. Il y a dans le pays des plantations d’indigo, mais en petit nombre, et du coton de bonne qualité. La Cochinchine, affirme M. Pallu, pourrait un jour approvisionner de coton le marché de l’Europe ; ce serait toute une révolution dans la vie de l’indigène et dans son état social. Le travail, aliment des échanges, amènerait la richesse ; avec la richesse se développerait la propriété, et par la propriété le confort de la vie, la culture de l’esprit, l’élévation morale, le sentiment de sa propre dignité. Mais une telle transformation, la verrons-nous jamais s’accomplir ? En Algérie, nous tentons avec les Arabes quelque chose d’analogue. Des deux côtés les obstacles sont autres, mais également difficiles à surmonter. C’est notre devoir de le tenter, comme ce serait notre honneur de réussir. La conquête qui enfante le progrès est une conquête légitime.

Aujourd’hui les habitations elles-mêmes semblent tenir à peine au sol, comme les habitants. Quelques roseaux plantés en terre, un peu de limon que séchera le soleil, et pour toit des feuilles de palmier, voilà la maison de l’indigène. Quelques heures y suffisent. On conçoit que la destruction ou l’abandon d’un pareil édifice ne laisse pas beaucoup de regrets. Aussi les déplacements de populations ne sont-ils pas une chose rare. C’est la seule manière d’échapper à une domination antipathique ou trop oppressive.

Dans une société qui sous tant de rapports touche encore, en quelque sorte, à l’état de nature, on est étonné de trouver un sentiment très-prononcé de déférence vis-à-vis de la femme. On prétend que sous le rapport moral, comme sous le rapport de la beauté physique, les femmes ont ici une supériorité réelle. Ce qui paraît sûr, c’est que dans la vie commune le mari accepte volontiers le second rôle. Les gens experts prétendent, du reste, que ce n’est pas là une mauvaise condition pour le bonheur domestique.

On raconte que chez certaines peuplades de l’Amérique, comme autrefois chez les Cantabres et les Corses, quand une femme est accouchée le mari se met au lit pour recevoir les félicitations de la tribu. Le livre officiel de la Cochinchine rapporte quelque chose de semblable. À l’accouchement de sa femme, est-il dit, le mari doit s’abstenir de tout travail durant un mois. La raison que l’on en donne, c’est que durant ce mois un mari se doit tout entier à sa femme et à son enfant.

Nous n’avons fait qu’effleurer un sujet qui a pour nous, aujourd’hui, plus qu’un intérêt de curiosité. Ceux qui voudront mieux connaître tout ce qui touche aux mœurs, aux usages et aux habitudes des Annamites, non pas seulement chez une de leurs classes, mais dans toutes leurs classes ; ceux qui voudront en un mot, de plus amples notions sur leur religion et leur hiérarchie sociale, nous devons les renvoyer aux publications de MM. Pallu, de Grammont et Aubaret, — sans oublier d’excellentes notes d’un de nos employés civils, M. Bineteau, sur les conditions physiques et la climatologie du pays[1].


II

Il est une autre contrée que couvre notre drapeau, le Mexique. Là ce ne sont pas des sujets que nous allons chercher, ni une domination ; mais la conquête que nous ne demandons pas à nos armes, nous la demandons à la science. Cette mission scientifique si digne d’un grand siècle et d’une grande nation, la France, depuis soixante ans, en a partout donné l’exemple. Elle l’a remplie en Égypte par la publication de l’ouvrage célèbre qui a été le point de départ des études hiéroglyphiques ; elle l’a remplie en Asie par les fouilles qui ont rendu à la lumière les restes oubliés de la civilisation assyrienne, et qui ont contribué puissamment à l’avancement des études cunéiformes ; elle la remplit en Algérie par la restitution des vieux souvenirs de Carthage et de Rome, et de ceux de la race aborigène ; elle la remplit en Grèce et en Asie Mineure par de fructueuses recherches, par de belles publications, et mieux encore par l’institution de cette école d’Athènes qui est devenue pour les contrées helléniques une pépinière de profonds investigateurs. Ce que la France a fait dans tant de foyers éteints des grandes civilisations antiques, elle est appelée à le faire aussi sur la terre mexicaine.

Pour ne pas remonter, comme les souvenirs de l’Égypte et de Babylone, aux premiers âges des traditions humaines, ni s’envelopper du prestige des souvenirs classiques, le nouveau théâtre sur lequel vont se porter nos explorations n’en mérite pas moins de prendre rang à côté des grands foyers historiques de l’ancien monde. À l’époque où Fernand Cortez, cet héroïque aventurier, fit avec une poignée d’Espagnols la conquête du vaste empire de Montézuma, le Mexique était le siége d’une civilisation très-remarquable, au moins par

  1. Elles sont imprimées dans un recueil trop peu répandu chez nous, le Bulletin de notre Société de Géographie, au cahier de janvier dernier.