Page:Le Tour du monde - 10.djvu/147

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bananiers et criant, gesticulant d’un air effaré, nous firent signe de reprendre le large. Comme nos rameurs ne tenaient aucun compte de l’ordre de ces inconnus et rapprochaient de plus en plus les embarcations du rivage, les hommes frappèrent la terre de leur arc en baragouinant des menaces, tandis que les femmes poussaient des cris aigus et agitaient leurs bras au-devant de nous à la façon d’un magnétiseur chargeant de fluide le sujet qu’il veut endormir. Cependant nous continuions d’avancer, les yeux écarquillés par la surprise et ne comprenant rien aux démonstrations de ces indigènes, lorsqu’une vieille femme, maigre, hideuse, à peu près nue, véritable sorcière échappée d’un dessin de Goya, accourut, étendant vers nous ses bras décharnés et se penchant de telle sorte au bord du talus que nous crûmes qu’elle allait sauter dans l’embarcation la plus rapprochée du rivage. Mais la Sibylle à la poitrine osseuse et aux cuisses maigres, se contenta de nous regarder dans le blanc des yeux d’un air formidable et de cracher deux ou trois fois dans la rivière, comme si elle accomplissait un mystérieux maléfice. Son incantation terminée, elle nous fit une abominable grimace et, en se retirant, nous découvrit un autre aspect de sa laideur sénile.

L’accueil peu gracieux de ces indigènes ne nous empêcha pas d’opérer notre débarquement. À peine eûmes-nous gravi le talus où ils étaient rangés en demi-cercle qu’hommes et femmes s’enfuirent à toutes jambes vers leur demeure en poussant d’effroyables cris. Nous y entrâmes bravement à leur suite. La colère et l’effroi de ces naturels firent place alors à l’abattement de la peur. Jeunes et vieux, tremblant de tous leurs membres lorsque nous leur donnâmes l’accolade d’usage, prirent nos mains, même celles les moins lavées, et les baisèrent d’un air de componction dont nous fûmes touchés. Quelques babioles que nous leur distribuâmes, parvinrent à calmer le tremblement nerveux dont ils étaient agités.

Un peu remis de la panique que notre apparition leur avait causée, ils nous offrirent des nattes de palmier sur lesquelles nous nous assîmes à l’orientale. La pythonisse au ventre ridé qui nous avait exorcisés du haut de la berge, s’empressa d’écraser dans ses mains quelques bananes cuites, délaya la pulpe de ces fruits dans de l’eau de rivière et nous présenta à la ronde ce mazato de l’hospitalité contenu dans une écuelle. Chacun de nous feignit de goûter à l’épais breuvage, mais se contenta d’y mouiller ses lèvres. Quand l’écuelle, après avoir passé de main en main, fut revenue encore pleine à celle qui nous l’avait offerte, nous demandâmes aux maîtres de céans des explications sur la conduite étrange que d’abord on avait tenue envers nous : ces explications nous furent données.

L’exorcisme.