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Le déjeuner de la bohémienne.


VOYAGE EN ESPAGNE,

PAR MM. GUSTAVE DORÉ ET CH. DAVILLIER[1].



D’ORIHUELA À GRENADE.

1862. — DESSINS INÉDITS DE GUSTAVE DORÉ. — TEXTE INÉDIT DE M. CH. DAVILLIER.


Orihuela et sa huerta. — Murcie. — La fête du Corpus Domini. — La Cruz de Caravaca. — Carthagène.

La huerta, qui s’étend entre Elche et Orihuela, nous offrit, presque sans interruption, l’aspect d’un verger merveilleusement fertile : la végétation y est peut-être plus tropicale, plus vigoureuse encore que dans les huertas du royaume de Valence : les grenadiers, les orangers, les figuiers y atteignent des dimensions colossales ; les tournesols, dont les gens du peuple mangent la graine, penchent leurs tiges sous le poids de leur énorme disque noir et jaune ; les roseaux ressemblent presque à des bambous, les adelfas ou rosiers roses, qui croissent le long des ruisseaux, sont des arbres véritables, et les aloès qui bordent la route se dressent comme des yatagans gigantesques.

D’innombrables canaux d’irrigation entretiennent, dans ce paradis terrestre, une humidité continuelle, et le soleil fait le reste ; aussi les habitants ne craignent ils pas ces années de sécheresse, si fatales à d’autres contrées de l’Espagne : Llueva o no llueva, hay trigo en Orihuela : « Qu’il pleuve ou qu’il ne pleuve pas, il y a du blé à Orihuela : » tel est le dicton populaire, qui peint bien la fertilité du pays.

Les paysans qui cultivent la huerta d’Orihuela ressemblent beaucoup plus à des Africains qu’à des Européens : à les voir travailler par le soleil le plus ardent, les bras et les jambes nus, n’ayant pour vêtement qu’une chemise et leurs zaragüelles, larges caleçons de toile blanche, et pour coiffure qu’un mouchoir roulé autour de la tête, on les prendrait volontiers pour des Khabyles ou pour des fellahs égyptiens. Tels sont les segadores ou moissonneurs ; ils ne se servent pas de la grande faux au long manche, en usage dans les campagnes des environs de Paris, de cette faux que les peintres mythologiques

  1. Suite. — Voy. t. vi, p. 289, 305, 321, 337 ; t. viii, p. 353 ; X, p. 1.