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les plus inconnus, et l’on trouvera, dans l’ouvrage auquel il travaillait lors de mon passage à Sundang-Lahia, les merveilleux résultats de son courageux amour de la science.

Cependant la position de l’explorateur ne tarda pas à devenir encore plus critique, et l’on peut dire qu’il n’échappa à la mort que par un hasard miraculeux. En effet, au moment où, après avoir constaté les désordres que produisait sur lui le milieu dans lequel il se trouvait, il voulut reprendre le chemin des régions plus saines, la tête lui tourna, il s’éloigna autant qu’il le put du gouffre béant ; mais il tomba bientôt sur le sol et resta ainsi sans connaissance pendant trois jours et trois nuits, sans être atteint par les ruisseaux de lave et les rochers incandescents qui roulaient le long de la montagne.

Des Indiens qui aperçurent par hasard M. Ploëm dirent aux gens de la plaine qu’ils avaient rencontré le corps d’un Européen. On soupçonna que c’était le cadavre du docteur ; un convoi fut organisé pour l’aller chercher. Le docteur n’était pourtant pas tout à fait mort, mais il ne valait pas beaucoup mieux. À la suite des jours torrides et des nuits humides, des milliers de piqûres de fourmis et de moustiques, il avait été atteint d’une de ces fièvres ordinairement mortelles à Java. Il fut pendant plusieurs jours dans le plus grand danger, et encore la maladie ne céda-t-elle, que pour faire place à un état dont M. Ploëm n’est pas et ne sera jamais remis. Le courage scientifique de ce brave homme, dont je pourrais citer d’autres exemples aussi étonnants, est au-dessus de tout éloge.

Parmi les choses curieuses que je vis chez M. Ploëm, je citerai ses collections d’animaux rares, soit morts, soit vivants, et entre autres, cinq magnifiques boas. Ces reptiles avaient longtemps vécu dans un grand cabinet attenant à la chambre à coucher du docteur, mais, comme ils se livraient pendant la nuit à des ébats trop bruyants, il leur fit construire une maisonnette en pierre sèche dans un coin de son jardin. Puis, un beau jour, il trouva les quatre murs renversés ; les serpents étaient partis. Désolé de la perte irréparable qu’il venait de faire, le brave docteur se mit à la poursuite de ses fugitifs, dont il ne tarda pas à retrouver l’un, le plus beau de tous, dans une rizière, sortant par instants de l’eau et fuyant de toute la vigueur des longs anneaux de son corps gigantesque. S’élancer dans la rizière, les jambes nues (car le docteur était sorti en costume de nuit), saisir le reptile par le bout de la queue et le ramener de force à son domicile, fut pour l’héroïque naturaliste l’affaire de quelques instants. C’est là que je vis ce splendide animal, non pas engourdi et malingre comme ceux de nos ménageries, mais vif et bien portant comme un hôte chéri et soigné.

M. Ploëm possède aussi un bëo, qui m’amusa beaucoup par son talent de ventriloque. Le bëo ou mutek est certainement un oiseau des plus extraordinaires. Un peu plus gros que le merle d’Europe, noir comme lui et ayant aussi le bec et les pattes jaunes, il en diffère cependant par la forme générale de son corps, l’aspect particulier de sa tête et surtout par les ouïes en peau jaune qui lui donnent une physionomie étrangère aux oiseaux des pays froids. Mais c’est surtout par son talent d’imitation, supérieur encore à celui du perroquet, que le bëo est intéressant. Celui de M. Ploëm, dont la cage est située à peu de distance de l’écurie et de la basse cour, s’est appliqué à rendre le gloussement des poules, le chant du coq, le roucoulement des tourterelles, et particulièrement le hennissement des chevaux, qu’il imite avec une perfection si grande que j’eus beau l’examiner attentivement et suivre du regard les ondulations de son gosier, le hennissement me paraissait toujours sortir de l’écurie et non du bec de l’oiseau mystificateur.

Je ne quitterai pas la résidence de Tjiei-Panas, sans parler des sources d’eau glacée et d’eau presque bouillante qui surgissent du sol à quelques mètres l’une de l’autre, et de la belle collection d’orchidées arborescentes qui se trouve dans le jardin botanique confié aux soins du docteur, et dans laquelle sont réunies presque toutes les variétés de ces belles plantes qui offrent aux naturalistes un si fécond sujet d’études.

Cependant il faut repartir ; car nous voulons mettre à exécution notre projet de voir de près les Rassa-Malah (Liquidambar Rassa-Malah), les plus grands arbres du pays de Java.

Bananier royal. — Dessin de M. de Molins.

Nous trouvâmes d’abord des plantations de café ; puis nous arrivâmes dans des pays plus découverts et nous atteignîmes après une heure et demie de marche les premières jungles, moins hautes et moins serrées que celles que nous avions traversées dans notre ascension du Salak, mais qui rendaient encore notre voyage très-pénible. C’était un fouillis de verdure, où le bananier sauvage, avec ses feuilles vert-pâle d’un côté et de l’autre tachées de rouge et de brun, se rencontrait en majorité. Nous nagions dans des flots de plantes de toutes sortes ; nous y admirions surtout les grandes fougères au tronc solide[1], aux feuilles si gracieuses et si régulières, les grandes fougères qui tiennent à la fois de la fleur par leur

  1. Nous rencontrâmes sur notre route une cabane, véritable curiosité, dont les gros piliers étaient faits de troncs de fougères