Page:Le Tour du monde - 10.djvu/309

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« Ces vénérables missionnaires portaient avec aisance le costume des mandarins chinois ; l’un d’eux, auquel je demandai pourquoi il n’avait pas le bouton de corail, me répondit que la croix qu’il portait sur la poitrine était le véritable insigne de son grade.

« Après nous avoir conviés à descendre à la mission, où ils nous offraient une généreuse hospitalité, ils remontèrent dans les équipages chinois qui les avaient amenés et se joignirent à notre cavalcade.

« La ville de Suan-hoa-fou est entourée de hautes et larges murailles, et nous y avons fait notre entrée par une porte monumentale qui m’a rappelé celle de Pékin.

Porte de Suan-hoa-fou. — Dessin de Thérond d’après une photographie.

« La grande route qui vient y aboutir est droite, large, bordée d’une double rangée de robiniers ; les étalages des boutiques m’ont paru très-riches ; les mâts et les banderoles, les pancartes, les affiches de toute espèce et de toutes couleurs annoncent une ville commerçante.

« Au reste, nous sommes entourés d’une foule immense ; une troupe d’Européens, avec leurs habits nationaux, c’est ce qui ne s’est jamais vu à Suan-hoa, et toute la population de la ville s’est portée à notre rencontre.

« Sur les chaussées, à droite, à gauche, devant nous, derrière nous, ondulent des milliers de têtes ; les branches des arbres plient sous le poids des curieux qui les ont escaladés pour mieux voir le spectacle.

« Nous avançons au petit pas, et la multitude qui semble nous barrer le passage se disperse à cinquante partout. mètres devant nous pour venir se rejoindre par derrière à ceux qui nous suivent.

« Tout ce peuple est silencieux et poli ; nous n’apercevons pas la moindre nuance de malveillance ; c’est plutôt l’étonnement porté à son comble et même de l’effroi ; car c’est à peine si ces pauvres gens osent nous regarder ; tous les yeux se détournent et tout le monde recule dès que l’un de nous dirige ses regards de leur côté.

« Cet empressement forcené ne laisse pourtant pas que de devenir très-incommode, et nous nous passerions bien des vingt mille curieux qui nous accompagnent partout.

« Pour arriver à la mission catholique, on tourne à gauche dans une rue également large et bien percée.

« Nous nous sommes arrêtés devant le grand portail, au-dessus duquel figure seulement depuis quelques jours la croix, ce noble insigne de la civilisation latine. C’est le drapeau de l’humanité, des idées généreuses et de l’affranchissement universel, placé dans tout l’extrême Orient sous la protection immédiate de la France. Les Anglais ne s’y occupent que du commerce ; pour eux, la foi et les sublimes enseignements de la religion ne viennent qu’en second lieu.