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le gardien de l’Observatoire, invalide des âges passés, qui a l’air aussi vieux que les instruments qu’il est chargé de surveiller.

Cette cour contient, outre deux grandes sphères célestes, une horloge d’eau ou clepsydre dont la conception mécanique est un chef-d’œuvre de patience. Ce sont quatre bassins de cuivre placés sur des gradins en brique et régulièrement étagés : chaque bassin communique avec l’autre par un petit trop-plein, d’où l’eau tombe goutte à goutte. Dans celui du bas se trouve une planche sur le côté de laquelle est fixée une aiguille indicatrice. Dès que la quantité d’eau tombée était suffisante pour équivaloir à un quart d’heure, un gardien, frappant sur un tambour, annonçait les heures du haut des murailles. Cette primitive horloge ne fonctionne plus depuis longtemps.

Il règne dans la cour de l’Observatoire une humidité pénétrante et une odeur de moisissure insupportable : les vieux murs sont couverts de mousse, les aciers et les fers sont rongés par la rouille, les bassins de cuivre et les pieds de bronze sont recouverts d’une épaisse couche de vert-de-gris. Le gardien de l’établissement s’est scrupuleusement abstenu de gratter les murs, de frotter ou de polir les instruments qui lui sont confiés, dans la crainte de se compromettre et d’aliéner les pouvoirs magiques que la tradition attribue à ces curieux spécimens de l’ancienne astronomie.

Au fond de l’enceinte se trouve un escalier qui conduit sur la plate-forme de la tour, élevée de quatre mètres au-dessus des murailles. Deux sphères armillaires, un horizon azimutal, un quart de cercle et un immense globe céleste y sont restés à la même place depuis cent quarante ans, tournés sans doute vers le même point de l’horizon où la main du P. Verbiest les avait dirigés. Un vieil escabeau en bois de fer se voit encore dans un coin de la plate-forme : peut-être a-t-il servi aussi à l’astronome.

Sur le globe céleste, dont la masse pèse au moins deux milliers, sont représentés les étoiles et les signes du zodiaque, mais tout cela est bien effacé et dégradé par le temps. Les pieds de tous ces instruments, coulés en bronze, sont formés par le dragon impérial qui y rampe dans toutes les postures : l’artiste qui les a conçus a véritablement accompli un chef-d’œuvre qui pourrait servir de modèle à la sculpture d’ornementation. Vue du centre de la ville, la tour de l’Observatoire prend un aspect étrange : les leviers, les bielles, les grands bras de ses machines astronomiques s’y dessinent à l’horizon comme les membres d’une gigantesque araignée.

Tel est cet établissement élevé à l’époque de la plus grande autorité des missionnaires catholiques dans les conseils de l’Empire, et qui seul a été respecté et défendu contre le pillage et la destruction populaire auxquels furent livrées toutes leurs propriétés.

L’enceinte de l’Observatoire est voisine de celle du Temple des lettrés ; ce vaste yamoun, qui s’appelle le Wen-hio-Koung, est la propriété du corps des lettrés. C’est là qu’ont lieu chaque année les examens littéraires ; à cette époque, une foule nombreuse se presse à la porte pour en connaître les résultats. Vous savez qu’on ne peut arriver à aucune position en Chine sans avoir pris ses grades.

On trouve dans le Wen-hio-Koung des salles spacieuses richement lambrissées pour les solennités littéraires ; dans le jardin, qui est magnifique, il y a une pagode en l’honneur de Confucius, et une rangée de petites cellules où sont enfermés les aspirants lettrés qui y traitent par écrit la question assignée ; ils n’ont le droit d’emporter avec eux que du papier blanc, une écritoire et des pinceaux ; une sentinelle veille à la porte pour empêcher aucune communication des concurrents entre eux ou avec le dehors. Le yamoun des lettrés est habité par un gouverneur ou surintendant littéraire. Sortons maintenant, si vous le voulez, de ces rues étroites, et remontons par la grande avenue de l’Est jusqu’au nord de Pékin.

La foule se presse dans cette large artère de la ville mongole ; il est prudent de marcher sur les côtés de la chaussée pour éviter d’être renversé par les chevaux, les mulets, les chameaux, les voitures, les chariots, les chaises à porteur qui s’y croisent en tous sens.

Cet édifice, à gauche, à l’entrée de cette ruelle, est le tribunal des rites et le ministère des affaires étrangères : c’est un ancien temple qui n’a rien de remarquable, sinon qu’il sert aux entrevues du prince Kong et de ses confidents avec les ministres européens ; c’est là que fut signé, le 25 octobre 1860, le traité de paix qui termina la dernière guerre.

Voici le grand mandarin Wen-Liang qui débouche par l’avenue pour se rendre au tribunal des rites !

Il est accompagné de toute la pompe orientale ; des coureurs à cheval le précèdent ; derrière sa chaise, et malgré l’absence de soleil, marchent ses porte-parasols ; il est suivi de tout le tribunal, et, pour augmenter son cortége, chacun des mandarins subalternes traîne après lui de nombreux domestiques.

L’avenue de l’Est est une des plus populeuses et des plus commerçantes de la ville mongole ; mais remarquez que, dans ce concours d’êtres humains, il n’y a presque pas de femmes ; sauf celles de la plus basse classe, elles restent toutes enfermées dans les maisons. En manière de compensation, vous voyez nombre de soldats de police chargés de la voirie de la ville ; ils balayent les rues, en enlèvent la boue et font écouler les eaux.

Quelle prodigieuse affluence de palanquins et de chaises à porteur ! En Chine, tout homme qui se respecte doit être à cheval ou en chaise : comme nous sommes à pied et que nous préférons ce mode de locomotion pour mieux voir, je suis sûr qu’on nous prend en pitié, et qu’on nous regarde comme des gens indignes de considération.

Il y a des loueurs de chaises qui en ont de grands dépôts, et l’on peut s’en procurer une pour le prix modeste d’une piastre par jour. Voici également des stations de voitures, ou plutôt de chariots avec un ou deux mulets d’attelage ; ils ont un aspect séduisant ; la caisse en est bariolée de couleurs éclatantes, l’intérieur en est garni