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les rues de Pékin des vieillards impotents, trop pauvres pour louer des chaises à porteur, qui sont assis dans des charrettes à bras traînées par leurs petits-enfants : sur leur passage, ils reçoivent les hommages de tous les jeunes gens, qui cessent leurs jeux ou leurs travaux pour prendre une attitude respectueuse. Le gouvernement est le premier à encourager ces sentiments, en donnant des robes jaunes aux vieillards d’un âge très-avancé. La robe jaune (on sait que cette couleur est réservée aux membres de la famille impériale) est la plus grande distinction qu’on puisse accorder à un particulier.

À l’âge de soixante et dix ans, tout Chinois est tenu de donner un repas et une fête à sa famille et à ses amis : il est arrivé à l’âge vénérable, et s’il a employé sa vie à accumuler des richesses, s’il a de nombreux enfants, il a acquis, suivant l’adage populaire, le comble du bonheur dont on puisse jouir ici-bas.

Le culte des ancêtres, si répandu, et qui est la religion du foyer domestique, doit son origine aux mêmes idées : c’est une chose touchante que cette vénération pour les aïeux, ce souvenir permanent donné à leur mémoire, et cette participation muette qu’on leur accorde dans les destinées de la famille. Il n’est pas une cabane, si pauvre qu’elle soit, où les tablettes sur lesquelles sont gravés les noms des ancêtres, depuis celui qui passe pour le fondateur de la famille jusqu’au grand-père défunt, n’occupent la place d’honneur dans une niche au fond de la chambre. Chez les gens riches, il y a une pièce réservée, espèce de sanctuaire domestique, qui contient tous les portraits et les reliques de famille. Devant un autel richement orné, près duquel on entretient constamment des lampes allumées, on vient au temps prescrit par les rites brûler des parfums, présenter des offrandes et faire des prostrations. Le chef actuel de la famille ne prendrait pas une décision importante sans aller méditer dans le temple des ancêtres qu’il semble ainsi inviter à prendre leur part des biens et des maux qui arrivent à leurs descendants.

Cercueil chinois. — Dessin de Catenacci d’après une peinture chinoise.

Au dix-huitième siècle, ce culte et les hommages rendus à la mémoire de Confucius excitèrent des discussions entre les missionnaires catholiques. Les uns voulurent les tolérer comme innocents, les autres les condamnèrent comme idolâtres, et furent appuyés par la cour de Rome. Ces querelles malheureuses déplurent au gouvernement chinois qui y vit une preuve d’intolérance, et ordonna des persécutions contre les chrétiens.

Le culte domestique des ancêtres est d’accord avec les soins qu’on donne à leurs tombeaux : au mois d’avril on célèbre la fête du Tchang-feu ou des morts. Tout le monde, hommes, femmes, enfants, et jusqu’aux animaux, sont ornés de petites branches de saule pleureur, symbole de la douleur et du souvenir ; on se rend ensuite aux tombeaux des aïeux soigneusement entretenus et décorés de fleurs pour cette occasion ; on émaille le sol qui les entoure de découpures en papier doré, on y brûle des cierges et des bâtons d’encens, et, d’après les traditions, on dépose tout autour des plateaux et des vases pleins de mets délicats.

L’étiquette du deuil est rigoureusement observée : il dure trois ans pour un père ou une mère, et pendant ce temps les mandarins même ne peuvent exercer aucune fonction publique, ils doivent vivre dans la retraite, ne rendre aucune visite, et interrompre toute relation officielle. La couleur la plus généralement adoptée pour les vêtements de deuil est le blanc.

Durant le séjour de M. et de Mme de Bourboulon à Pékin, l’empereur Hieu-foung étant mort, le deuil impérial fut décrété dans toute la Chine. La sévérité de ces prescriptions est extrême. Aucun homme ne peut se faire raser la tête pendant quatre-vingt-dix jours ; toute réjouissance de famille est interdite pendant un an et un