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Page:Le Tour du monde - 10.djvu/89

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des mêmes viandes, mais différemment accommodées, des volailles de toute espèce, du gibier, préparés avec du riz et des sauces fortement épicées, du porc sous toutes les formes, rôti, en ragoût, braisé, des poissons, parmi lesquels figurait le fameux bar tacheté, si prisé des Apicius chinois (voy. p. 86), des légumes, haricots blancs ou verts, pois, lentilles, et même des pommes de terre de Mongolie servies par attention pour nous. Aucun mets extraordinaire, ni rat, ni chat, ni chien ne frappa nos regards. Un chien de lait forme, assure-t-on, un plat très-recherché dans toute la Chine méridionale, mais je ne sache pas qu’à Pékin, les jolis petits chiens qu’on élève comme objets de luxe aient jamais été destinés à la casserole (voy. p. 87). Les viandes et les poissons sans os et sans arêtes étaient, par un artifice particulier à la cuisine chinoise, recousus dans leurs peaux grillées et dorées au four de campagne.

« Alors commença une scène de politesse : Hen-Ki voulant absolument nous servir, quoique nous eussions préféré puiser dans les bols, avec nos cuillers, enlevait avec ses doigts la peau qui recouvrait les viandes et y plongeant ses bâtonnets qu’il avait déjà fourrés dans sa bouche, mettait dans nos son coupes un morceau de chaque mets. J’ai oublié de dire qu’on ne nous changeait pas de soucoupe, en sorte que, grâce à l’empressement de notre hôte, nous eûmes en quelques minutes devant nous une véritable pyramide de viandes, de poissons, de légumes entremêlés, dont les sauces se disputaient entre elles, et ne présentaient plus au goût qu’une saveur indéfinissable. Cependant Hen-Ki était enchanté, riait, causait et mangeait avec enthousiasme ; il approchait sa figure de son bol, et, manœuvrant ses bâtonnets avec une rapidité incroyable, envoyait dans sa large bouche et souvent sur sa belle robe, sur la table, et jusque sur nous, des parcelles de viande, des grains de riz, et surtout de larges gouttes de sauce ; cette déglutition rapide était accompagnée de phrases de politesse : Mangez donc de ce plat, nous disait-il la bouche pleine ; je l’ai fait faire pour vous, acceptez-en encore un peu, vous me comblerez de bonheur…, et ainsi de suite. J’aime à croire que le mandarin faisait franchement appel à notre appétit, et qu’il ne ressemblait pas à ces Européennes maîtresses de maison qui vous supplient d’accepter une aile de perdreau non entamé, et qui vous jettent un regard furibond quand, de guerre lasse, vous ne croyez pas pouvoir refuser. Une corbeille de petits gâteaux à la farine de froment, sans levain, imbibés de graisse et remplis de graines aromatiques avait été placée à notre portée ; on voit que Hen-Ki n’avait rien négligé pour nous rendre un dîner agréable.

Perdrix du Pe-tche-li. — Dessin de Mesnel d’après une peinture chinoise.

« À mesure que les appétits se calmaient, la conversation allait en se ranimant ; heureux de ne pas avoir à