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Un des ponts du Palais d’été. — Dessin de Thérond d’après une photographie.


UNE VISITE À YOUEN-MING-YOUEN,

PALAIS D’ÉTÉ DE L’EMPEREUR KHIEN-LOUNG,


PAR M. G. PAUTHIER[1].
1862. — TEXTE ET DESSINS INÉDIITS.


I

À trente li ou trois lieues, au nord-ouest de la porte de Pékin, appelée Si-tchi-mên (la « porte située directement à l’ouest » ), on trouve un grand bourg que l’on nomme Haï-thien, habité naguère encore, comme autrefois Versailles, par une population nombreuse, attachée à la cour des empereurs chinois, ou qui vivait uniquement des nombreuses industries que ces empereurs se plaisaient à entretenir et à encourager. Au delà de ce bourg, est situé un parc immense, plus grand à lui seul que toute la ville de Pékin, et ayant aussi deux enceintes carrées concentriques, dans lesquelles se trouvaient disséminés quarante palais d’architecture purement chinoise, dont on donne ici plusieurs spécimens dessinés d’après quelques-uns des quarante magnifiques dessins coloriés et exécutés sur soie par des artistes chinois, lesquels dessins ornent un album provenant du cabinet de l’empereur Khien-loung, et acheté, dans ces derniers temps, par la Bibliothèque impériale de Paris[2]. On y a ajouté une autre vue, tirée d’un album représentant en vingt dessins, aussi coloriés, les palais construits à l’européenne par le même empereur.

Ce fut l’empereur Young-tching, qui, sur les recommandations de son père, le célèbre Kang-hi, contemporain de Louis XIV, choisit cette localité, au nord-ouest de Pékin, pour y établir sa résidence d’été ; mais ce fut son petit-fils, l’empereur Khien-loung, mort en 1796, après un règne de soixante ans, qui fit de cette résidence l’ensemble le plus extraordinaire de palais, de pavillons, de kiosques, de pièces d’eau, de rochers, de collines et de vallées factices que la main de l’homme ait jamais créé.

Dès les premiers temps de la monarchie chinoise on voit les souverains de ce pays, comme d’ailleurs ceux des autres monarques asiatiques, rechercher avec passion le luxe des palais et des grands parcs réservés. Ainsi on lit dans le philosophe Meng-tseu (368 avant J. C.) :

« Siouan-Wang, roi de Tsi, interrogea Meng-tseu en ces termes :

« J’ai entendu dire que le parc de Wen-Wang avait soixante-dix li (sept lieues) de circonférence ; les avait-il véritablement ! »

« Meng-tseu répondit : « C’est ce que l’histoire rapporte : »

« Le roi dit : « D’après cela, il était donc d’une grandeur excessive ? »

« Meng-tseu dit : « Le peuple le trouvait encore trop petit. »

« Le roi ajouta : « J’ai un parc qui n’a que quarante li (quatre lieues) de circonférence, et le peuple le trouve encore trop grand ; pourquoi cette différence ? »

« Meng-tseu répondit : « Le parc de Wen-Wang avait soixante-dix li de circuit ; mais c’était là, que se ren-

  1. Après avoir étudié la ville de Pékin avec la légation française que nous suivrons bientôt dans les déserts de la Mongolie, il ne déplaira sans doute pas aux lecteurs du Tour du Monde de faire un pèlerinage au Versailles de la Chine, et de retrouver cette résidence impériale telle qu’elle était avant l’exécution militaire du 18 octobre 1860 qui la livra aux flammes. Le nom de l’auteur de cet article doit être pour eux comme pour nous une garantie d’exactitude, d’érudition et de fidélité scientifique.

    F. de L.

  2. Cet album, acheté quatre mille francs en vente publique par la Bibliothèque impériale, est l’œuvre de deux artistes chinois nommés Tang-taï et Tchin-youen, qui l’exécutèrent pour l’empereur Khien-loung en 1744 ; la description en langue chinoise qui accompagne les dessins, a été rédigée par Wang-Yeou-tun, alors ministre des travaux publics.