une jeune fille de dix-huit ans, grande et découplée comme la Diane chasseresse, mais dont l’humeur douce et les goûts casaniers n’avaient rien de commun avec ceux de la fille de Jupiter et de Latone. Restée seule à la mort de sa mère, une indienne Sipibo de la rivière Pisqui, elle vivait à l’écart sous l’égide d’une matrone. La blancheur relative de son teint, le pur ovale de son visage, son nez aquilin, ses grands yeux voilés de longs cils, tous ces signes d’une race d’élite croisés avec la sienne et qui la faisaient sans rivale en beauté, loin d’éveiller la jalousie de ses compagnes, la rendaient l’objet de leur admiration ; hommes et femmes la considérant comme d’une nature supérieure à la leur, lui témoignaient une déférence respectueuse. Les vêtements de la belle fille, quoique de simple cotonnade, étaient toujours d’une blancheur irréprochable et taillés à la mode de la Sierra. Deux tatouages bleus, qui zébraient ses joues, rappelaient les assassines que se posaient nos mères grands. C’était le seul sacrifice qu’elle eût cru devoir faire à la nation Sipibo et au sang indien qu’elle tenait de sa mère.
Bien que Rufina, ainsi se nommait notre jeune fille, ne possédât ostensiblement ni ferme, ni plantation dont les produits assurassent son existence, un bon génie veillait à ses besoins, et le garde-manger de sa demeure était constamment approvisionné de poisson, de gibier, de volaille et de fruits. Grâce à cette abondance de victuailles, la matrone qui lui servait de chaperon s’arrondissait à vue d’œil en bénissant le ciel qui lui faisait la vie si douce.
Rufina, que nous avions surnommée la Fleur de la Mission, et dont les grâces décentes nous intéressaient vivement, ne se montrait jamais que le dimanche et toujours accompagnée de sa duègne. Après avoir assisté à la messe et fait une visite de convenance au révérend prieur, elle rentrait chez elle et ne reparaissait que le dimanche suivant.
Aucune cérémonie particulière ne signale à Sarayacu