la naissance d’un enfant. Le nouveau-né est présenté par les parents au chef de la prière, qui le baptise dans la sacristie, inscrit son nom sur un registre ad hoc et remet ensuite au père, à titre de présent, un couteau, quelques hameçons ou un mètre de cotonnade. Le baptême est suivi d’un médianoche convenablement arrosé de chicha et de tafia que les parents de l’enfant offrent à leurs amis. Le lendemain même de son accouchement, la femme vaque à ses travaux habituels, portant sur son dos, dans une hotte, son poupon emmailloté dans des bandelettes qui le font ressembler à une momie.
Les morts à Sarayacu sont enterrés dans l’église. Déjà nous avions assisté à trois baptêmes et nous commencions à désespérer de voir un enterrement, quand un Cocama eut l’obligeance de passer de vie à trépas pour nous laisser compléter cette revue. Aux premiers sons de la cloche, nous nous rendîmes l’église. Il était trois heures de l’après-midi. Nulle exhibition de tentures noires n’annonçait ce qui s’allait passer. Une fosse était creusée seulement au milieu de l’église et sur le sable mouillé que le fossoyeur en avait retiré, une main pieuse avait disposé huit lampions qui brûlaient en jetant d’épaisses fumées.
Pour suppléer à la décoration funèbre qui manquait au lieu saint, le ciel avait mis sa robe de deuil. La pluie tombait à flots et le vent mugissait d’une façon sinistre.
Le cadavre fut apporté sur une civière. Quatre femmes suivaient, qui paraissaient remplir l’office de carines, à en juger par les plaintes qu’elles tiraient comme des sons du fond de leur gosier tout en gardant un visage impassible. Le cadavre était roulé dans une natte que dépassaient ses pieds roidis et maculés. Deux hommes le prirent par ses extrémités et le laissèrent tomber dans la fosse, plutôt qu’ils ne l’y descendirent. Un des moines italiens prononça sur lui le Requiescat in pace, l’aspergea d’eau bénite et attendit pour se retirer qu’on eût comblé la sépulture ; mais la bêche dont on s’était servi pour la creuser ne se retrouva plus, quelque empressement que chacun mît à la chercher. Ennuyé d’attendre, le religieux ferma son bréviaire et se retira. À peine avait-il disparu, que les femmes coururent retirer du confessionnal un sac de sauvage, un arc, des flèches, des poteries et quelques provisions qui y étaient cachés.
Ces objets furent déposés par elles à côté du cadavre. La bêche introuvable reparut aussitôt, la fosse fut comblée et le sol nivelé. Pendant que les hommes pratiquaient en toute hâte cette opération, les femmes faisaient le guet, l’œil tourné vers la sacristie par où l’officiant avait disparu.