Les maisons sont en face de nous, espacées comme les tentes d’un camp, régulières, petites, présentant leur pignon et entourées de clôtures de planches qui laissent voir les têtes touffues de nombreux arbres fruitiers. — C’est fête au village, au centre d’une place, à l’ombre d’un arbre énorme bondissent les danses nationales. Je vois voleter les courtes jupes des filles et les larges pantalons de toile des garçons. Le généreux vin de la Hongrie (le vin du cœur, comme ils disent), doit couler à pleins bords dans des groupes assis plus loin.
À l’extrémité sud de l’île de Brigitte, sur la rive orientale, se trouve le débarcadère de Bezdan. Au fond, très-loin, un groupe de montagnes ferme la plaine à l’orient. Une colline, qui se relève brusquement et dont les pentes sont couvertes de vignobles, forme le premier plan à gauche ; à droite, une douzaine de moulins parsèment le lit du fleuve. C’est tout ce que nous apercevons de Bezdan, qui, comme les trois quarts des bourgs et même des villes où nous avons relâché depuis Pesth, est complétement invisible à l’œil du voyageur.
Aux moulins de Bezdan, succèdent les pêcheries d’Apathin. Ces pêcheries forment un véritable village bâti en pleine eau, et qui par la singularité de son aspect, fait une heureuse diversion à la monotonie du paysage. Qu’on se figure un fouillis de constructions en bois, cabanes, huttes, hangars, guérites, appentis de branchages et de paillis posés sur des charpentes. Au milieu une place marquée par un grand mât. À chaque pieu, à chaque pilotis, à chaque saillie tient la corde d’un filet tendu. Sous les toits, à toutes les portes, une nacelle est amarrée, et à travers chaque interstice par où l’œil peut glisser, le long des ruelles, par dessus les légères toitures, l’on voit courir des barques dont les conducteurs, hommes ou femmes, pagayent debout. Notre bateau s’arrête pour faire du poisson. Le maître d’hôtel choisit, pour la table des passagers, de magnifiques sujets dont j’ignore le nom, et l’équipage se paye une matelote pantagruélique. À l’aspect de ces pirogues, de ces femmes au sourire provoquant qui tendent vers nous une proie frétillante, aux sons barbares et inintelligibles qui frappent mon oreille, je pourrais me croire en Océanie, assistant à une réception de naturels Taïtiens. Je m’attends à ce que le maître coq paye toute cette marchandise d’un collier de verroterie ou d’un bracelet de laiton ; et, en vérité, je ne me trompe de guère, car c’est encore cet affreux papier d’Autriche aux fluctuations trompeuses qui compose l’échange.
Une heure après nous passons l’embouchure de la Drave (Trau), assez large et assez profonde pour porter depuis Eszek des bateaux de cent cinquante tonneaux ; et cependant l’addition de cette énorme masse d’eau ne semble modifier en rien la physionomie et les allures du fleuve.
Nous faisons échelle à Neusatz (Uj-Videk, en ma-