marqué sa place dans l’histoire, est la grande émigration de 1690 conduite par le patriarche d’Ipek en personne, Arsenius Tcharnoïevitch. Appelé par l’empereur Léopold Ier, le patriarche quitta la frontière d’Albanie à la tête de trente-sept mille familles et gagna les terres de l’empire, où il se présenta, dit l’historien Banke, non point en fugitif, mais comme un grand chef national (a great national chief). C’est à partir de cette époque que le siége du patriarcat serbe fut transféré d’Ypek à Saint-André, et plus tard à Carlowitz.
L’empereur, pour attirer les Serbes sur ses domaines, leur avait fait, en tant que roi de Hongrie, de belles promesses qui ne furent pas tenues. La scission provoquée par le patriarche Raïatchitch en 1848 n’avait pas d’autre cause que la violation de ces promesses, et le désir très-légitime des Serbes de recouvrer leurs anciens priviléges nationaux envahis tour à tour par les Allemands et par les Magyars. Il y aurait bien des choses à dire au sujet de cette malencontreuse levée de boucliers qui tourna en fin de compte au profit de l’Autriche. Les Magyars commirent de grandes fautes qu’ils ont cruellement expiées. Puisse la leçon leur profiter !
J’arrivai ainsi jusqu’au pied de la falaise qui domine Semlin à droite, et la gravis de terrasse en terrasse, ne rencontrant par les chemins étroits et en échelles que quelques femmes dont le costume accusait la pauvreté, portant sur l’épaule, accrochés aux deux bouts d’une perche, des vases de cuivre remplis de lait. Au sommet, un peu en arrière et à l’abri des rafales qui doivent souffler avec force sur cette croupe avancée, on rencontre un assez joli village dont les rues, ou, pour mieux dire, les allées sont tracées par des clôtures de planches à hauteur d’homme. Les maisons, construites entièrement en bois, même le tuyau de la cheminée, sont en retraite sur le chemin, auquel elles présentent leur pignon abrité du classique sureau. Le sureau est l’arbuste favori de ces contrées : il fleurit le premier, comme chez nous l’aubépine, et les poëtes le célèbrent comme le messager du printemps.
À l’extrémité d’une grande allée ombreuse, le Danube m’apparaît dans un paysage aussi vaste qu’à Presbourg ou à Pesth, mais beaucoup plus triste. Il coule de gauche à droite, à travers la Puzsta coupée d’étangs et de marécages. Une forêt ferme l’horizon. Entre la forêt et le Danube, serpente et brille la Temès, qui finit un peu au-dessous de Belgrade, vers Pancsova, après avoir arrosé la capitale du Banat, Temesvar, qui lui emprunte son nom (Temes, var « château »), et décrit les deux tiers d’un cercle depuis sa descente des Carpathes transylvaines. Des chalands, des bateaux remorqueurs sillonnent lentement le large espace. À droite, une colline se rattachant à la chaîne peu élevée qui porte Belgrade, fuit en s’abaissant vers la forêt. Un calme profond accompagne cette scène. On n’entend que le bruit des