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cheminées des bateaux à vapeur, d’où s’échappent des colonnes de fumée dont les spirales bleues tournoient en s’estompant dans l’air, s’effacent, se reforment et s’effacent encore, jusqu’à ce que le bateau lui-même disparaisse à la vue.

Les buffles du Danube. — Dessin de Lancelot.

À la descente de la montagne, je retrouvai une de ces ruelles qui plongent dans le Danube, et je la suivis jusqu’à son embouchure. C’est un ravin que cette ruelle, et à certains jours ce doit être un bras du fleuve. Cependant les maisons de bois curieusement étagées, les trottoirs en grosses planches portés par des pieux moitié déchaussés, les escaliers branlant à bases moisies, les grands auvents garnis de branchages, les femmes bizarrement vêtues que je voyais traverser et escalader ces casse-cou tout en jasant et en filant, les grands arbres dessinant une sombre arcade de verdure sous laquelle miroitait le fleuve tout cela, y compris une douzaine d’âniers avec leurs bêtes puisant de l’eau à la rivière, et une sentinelle qui, nonchalamment appuyée à un tronc d’arbre, contemplait cette scène d’un air distrait, ne manquait pas d’un certain charme pittoresque. C’était, certes, un croquis à faire. Mais à peine avais-je taillé mon crayon et ouvert mon album, que la sentinelle se redressa subitement et dit quelques mots, en me désignant du doigt, à un autre soldat, lequel vint incontinent se camper devant moi de manière à me masquer complétement le paysage, et, de la voix d’abord, puis du geste, me fit comprendre, malgré la mauvaise volonté que j’y mettais, qu’il était défendu de dessiner. Je continuais néanmoins à faire la sourde oreille, quand je vis une escouade tout entière se diriger vers moi l’arme au bras, comme pour lui prêter main-forte. Cette vue me donna à réfléchir. Les violons de Semlin ne doivent pas être gais, pensai-je, et, fermant mon album, je tournai le dos bravement et battis en retraite.

Comment se fait-il que partout les bureaux et le personnel de la police restent obstinément en dehors des améliorations que nous voyons s’introduire si promptement dans toutes les choses qui tiennent aux voyages ?

Les porcs (voy. p. 54). — Dessin de Lancelot.

Aux extrêmes confins de l’Europe, les routes sont devenues faciles ou tout au moins praticables. En Hongrie elles sont magnifiques, larges, droites, plantées d’arbres ; en Autriche elles sont charmantes, et c’est un ravissement, dans les environs de Saint-Polten, entre Linz et Vienne, qu’une course à pied dans la campagne, si verte et si bien cultivée, où s’éparpillent de gracieux villages, propres et riants. Dans tout l’empire, les voitures publiques sont bien attelées, bien menées, commodes, et, ce qui est plus rare, les conducteurs se montrent polis et prévenants envers les voyageurs. Les gares de chemins de fer sont des palais ; les bateaux à vapeur des merveilles de commodité et de bon goût ; les hôtels pèchent plutôt par l’excès que par le manque de confort et de luxe ; les auberges sont partout habitables ;