un conspirateur ? Il me semble bien avoir la conscience nette à cet égard. Néanmoins son exclamation me soulage d’un grand poids ; de ces choses-là l’on n’est jamais bien certain. « Donnez-moi quatre lignes de l’écriture d’un homme, disait un illustre magistrat, je me charge de le faire pendre. » Si quatre lignes suffisent en France, deux doivent suffire en Autriche ; et qu’est-ce qui n’a pas écrit deux lignes ?
À la fin il parapha et timbra mon passe-port, et il étendait la main pour me le rendre, quand se ravisant tout à coup :
« Depuis ce matin que vous êtes à Semlin, dit-il, qu’y avez-vous fait ?
— Un assez bon déjeuner, répondis-je en saluant profondément, et une ennuyeuse visite. » Il retira brusquement sa main, puis l’avançant de nouveau, me bourra ma feuille de route sous le nez. Quel désagréable petit homme !
Plus tard, quelqu’un qui le connaissait, et à qui je racontai les détails de cette scène, me fit envisager le personnage sous un aspect différent de celui sous lequel il m’était apparu.
« Vous n’avez pas eu, me dit-il, affaire à un méchant homme. Je le connais. Il a du bon, mais c’est quand il est en dehors de l’exercice de ses fonctions. Dans tout autre moment, il est ce que son métier le fait, ce que vous l’avez vu, méfiant, taquin, irritable et irritant. C’est affaire de calcul, autant que de tempérament. La vieille tactique de la police, de chercher à faire peur aux gens, ne réussit pas avec tout le monde. Taquiner vaut mieux souvent. La taquinerie donne sur les nerfs et vous met facilement hors de garde. Vous vous découvrez, et si vous jouez un rôle, vous risquez de faire tomber votre masque. Or, en Autriche, la police a autant de raisons de se méfier de tout passant qu’elle a de nationalités différentes cousues à son empire. Autant de Magyars, de Croates, de Serbes, de Tchèques, de Vénitiens, de Roumains, autant d’ennemis-nés qu’elle porte pour ainsi dire, attachés à ses flancs. Il faut donc que ses agents aient les yeux ouverts. Le devoir le leur commande, l’intérêt le leur conseille. Une bonne arrestation, opérée heureusement, peut procurer de l’avancement, ou valoir une gratification ; or les gratifications sont fort recherchées des employés autrichiens. Mais s’ils sont désireux de bien faire, ils ont peur de ne pas faire assez, tout en craignant de faire trop. Dans le premier cas, ils s’exposent au reproche de manquer de zèle, dans le second, de prudence. Le bonhomme avait raison ; ce n’est pas si simple.
— Mais, dis-je, ils ont, — il a des instructions, une direction supérieure, des renseignements ?
— Ah oui ! une direction très-supérieure ; c’est justement pour cela qu’elle est si peu explicite, et ne dit