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que l’on vient déposer sur sa sépulture doivent se dénombrer par le chiffre sept ou par ses multiples, particularité remarquable qui tend évidemment à grossir le total de ces pieuses offrandes.

À un quart de lieue du tombeau de Baha-ed-din, et dans une lande ouverte à tout venant, on peut voir celui de Miri-Kulah, qui fut son devancier et son père spirituel. Mais le maître est bien loin de posséder le même crédit que y le disciple et de recevoir les mêmes hommages.


Un espion envoyé à l’auteur (voy. p. 97). — Dessin de Émile Bayard d’après Vambéry.


XIII

La route de Samarkand. — Le petit désert de Chol-Melik. — Villages forains. — Kermineh — La mosquée de Mir. — Premier aspect de Samarkand. — Promenades en ville. — Souvenirs de Timour-Khan. — L’arche ou citadelle. — Le palais d’été, le sépulcre, la mosquée de Timour. — Les medresses. — La vieille et la nouvelle ville. — Dehbid. — Je résiste à la tentation d’aller plus loin. — La rentrée de l’émir. — Le pilow royal. — L’audience périlleuse. — Le mensonge récompensé. — Le départ. — Regrets et remords. — Adieux à Samarkand.

J’avais entendu dire merveille des cultures agricoles entre Bokhara et Samarkand ; cependant, après une journée de marche, je n’avais vu des deux côtés du chemin, que des terres médiocrement travaillées ; le jour suivant me réservait une véritable surprise. Nous avions traversé le petit désert de Chol Melik (six lieues de long sur quatre de large), où se trouvent un karavanséraï et un réservoir, et nous étions arrivés dans le district de Kermineh, petite ville qui constitue la station du troisième jour. Là, toutes les heures, parfois même toutes les demi-heures, nous rencontrions un petit bazarli djay (endroit forain), comprenant plusieurs auberges et magasins de provisions où d’énormes samovars, sans cesse en ébullition, nous promettaient le nec plus ultra du bien-être et des délices les plus enviés de l’existence tartare. Ces villages diffèrent absolument de ceux qu’on voit en Perse ou en Turquie ; les cours de ferme y sont tout autrement peuplées de volailles, et les étables de bestiaux. Vers midi, nous fîmes halte dans un charmant jardin de Kerminah, à côté d’un réservoir recouvert d’épais ombrages. Mes amis semblaient me devenir plus chers, à mesure que se rapprochait davantage le moment de notre séparation, et je ne voyais pas comment je pourrais accomplir à moi seul le long voyage de Samarkand en Europe. Nous partîmes de Kerminah au soleil couché, par égard pour l’épuisement de notre cheval, à qui la fraîcheur de la nuit devait procurer quelque relâche ; vers minuit, nous nous arrêtâmes deux heures encore, espérant arriver le lendemain à notre station avant le début de la chaleur. Le long de la route, je remarquai des bornes milliaires taillées en carré, les unes intactes, les autres brisées et qui datent de Timour ; il ne faut pas s’en étonner, puisque Marco Polo, du temps d’Oktai, trouve des routes de poste régulièrement établies dans l’Asie centrale. On dit, au reste, que sur tout le parcours de Bokhara, vers Kashgar, se rencontrent encore les vestiges d’une antique civilisation qui se pourrait suivre à la trace, nonobstant de fréquentes lacunes, jusque dans le centre de l’empire chinois. L’émir actuel, qui voudrait lui aussi se distinguer, a fait élever çà et là quelques petites terrasses qui, destinées à la prière, tiennent lieu des mosquées absentes, et rappellent au voyageur ses devoirs religieux.