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compris qu’il allait arriver quelque chose de grave. En conséquence, je voulus descendre, ce qui était tout à fait inutile, car ma monture tomba presque aussitôt elle-même à la grande hilarité des spectateurs groupés sur le bord ; puis, évidemment consternée, elle gagna l’autre rive par une inspiration dont je lui fus reconnaissant. Ce bain froid que j’avais pris d’un peu bonne heure dans les flots transparents de la Murgab fut si désagréable que, faute d’habits de rechange, il me fallut demeurer pendant quelques heures caché sous des tapis et des sacs jusqu’à ce que le soleil eût séché mes vêtements imbibés jusqu’au dernier fil.

Notre caravane établit son camp près d’une citadelle où résident les Kans des Djemshidi, aujourd’hui notoirement vassaux des Afghans, et, à ce titre, bien rémunérés par le Serdan d’Hérat.

A. Vambéry.
Traduction de Forgues.


Ici nous sommes obligés de prendre congé de M. Vambéry et de résumer en quelques lignes la fin de son voyage[1].

Les voyageurs à cheval mettent quatre jours à franchir la distance entre Bala-Murgab (vallée de la Murgab supérieure) et Hérat. Les chameaux en prennent le double. Il y avait quinze jours que M. Vambéry et son compagnon étaient sortis de Bockhara lorsqu’ils approchèrent de la ville d’Hérat. Les premières maisons, les fortifications, la porte d’Arak, leur firent, par contraste, l’effet d’un amas de diamants !

Hérat est considéré comme la clef ou la porte du Turkestan et par conséquent de l’Asie centrale. Notre voyageur aurait bien voulu y mettre fin à son déguisement : mais il était encore à dix jours de la Perse et ne se sentait pas à l’abri de tout danger. Un jour il s’introduisit près du prince régnant, le Serdar Mehemed-Jacoub-Khan, fils du roi de Kabour. Ce prince, âgé de seize ans à peine, était assis dans le palais (le Charbog), près d’une fenêtre. Lorsque M. Vambéry, jouant son rôle de derviche, se présenta inopinément devant lui en récitant la prière consacrée, le jeune vice-roi se leva brusquement de son fauteuil ; puis, le désignant du doigt, il s’écria moitié riant et moitié scandalisé :

« Vallahi, Billahi Schuma, Inghiliz hestid. » (Par Dieu ! je jure que vous êtes Anglais). Puis s’élançant de son siége pour venir le regarder de plus près, et battant des mains comme font les enfants après quelque joyeuse découverte :

« Hadji, Kurbunet ! (que je sois ta victime !) Dites-le moi, voyons, n’êtes-vous pas un Anglais en tebdil ? (déguisé). »


« Je jure que tu es un Anglais. » — D’après Vambéry.

Mais M. Vambéry qui avait à redouter la farouche intolérance des Afghans, prit l’air offensé d’un homme qui veut mettre fin à une plaisanterie poussée trop loin : « Sahib mekun (en voilà bien assez), lui répondis-je, vous connaissez la maxime : « Celui qui, fût-ce par plai-

  1. Faute d’espace, nous avons été déjà quelquefois obligé d’abréger le récit de l’auteur, surtout dans sa dernière partie. La traduction entière de l’ouvrage, dont la seconde moitié, que nous avons omise, est plus particulièrement scientifique, sera, du reste, publiée avant la fin de cette année 1865.