Page:Le Tour du monde - 12.djvu/20

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Moine et l’aiguille Verte, la Tour des Courtes, les aiguilles de Triolet et de Léchaud le dominent de tous côtés ; le puissant glacier de Talèfre en remplit le fond. Si par l’imagination, le voyageur, placé au Jardin, remplace la surface unie du névé par la mer, il peut se dire qu’il a une idée des aspects du Spitzberg. L’îlot dépourvu de neige sur lequel il se trouve est une analogie de plus, et la comparaison de la végétation de cet îlot avec celle du Spitzberg une des plus légitimes et des plus intéressantes qui puissent être faites. Pictet et Forbes ont trouvé que le Jardin était à 2 756 mètres au-dessus de la mer ; sa longueur est de 800 mètres, sa largeur de 300 environ, sa distance aux rochers les plus voisins où croissent quelques plantes de 800 mètres au moins. Le Jardin est un groupe de roches de protogine polies et striées faisant saillie entre les deux affluents qui forment le glacier de Talèfre : le premier et le plus grand, descend de la portion du cirque comprise entre la Tour des Courtes et les aiguilles de Triolet et de Lechaud ; le second, plus petit, de l’aiguille Verte et de celle du Moine. Deux moraines flanquent ces rochers : celle de gauche est la plus puissante ; une source jaillit au milieu du Jardin et forme un petit ruisseau. Les détritus de la moraine se sont peu à peu couverts de plantes et convertis en un tapis de verdure dont la couleur contraste singulièrement avec les blancs névés qui l’entourent. Mon ami M. Alphonse de Gandolle a réuni dans un herbier spécial les plantes provenant de cette localité, et recueillies par différents voyageurs qui l’ont visitée aux époques suivantes, que je range par ordre de date mensuelle : J’ai herborisé au Jardin le 24 juillet 1846 ; M. Percy, d’Édimbourg, le 26 juillet 1836 ; Mlle d’Angeville, le 3 août 1838 ; M. H. Metert, de Genève, le 8 août 1837 ; M. Alph. de Candolle, le 12 août 1838 ; enfin M. Venance Payot y est allé plusieurs fois et a publié, en 1858, un catalogue de ces plantes.

Il existe 87 végétaux phanérogames au Jardin : il faut y ajouter 16 mousses, 2 hépatiques et 23 lichens, ce qui porte à 128 le nombre total des plantes qui croissent dans cet îlot de terre entouré de glaces éternelles.

Sur les 87 phanérogames, il y en a quarante-neuf c’est-à-dire plus de la moitié qui croissent également sur le Faulhorn. Or, celui-ci étant un sommet isolé en face des Alpes bernoises, l’autre un îlot de végétation dans un cirque faisant partie du Mont-Blanc, et par conséquent dans des conditions physiques bien différentes, nous pouvons en conclure que ces deux Florules représentent bien la végétation alpine à sa dernière limite au-dessous de la ligne de ce que l’on appelle communément les neiges éternelles. Parmi ces 87 espèces, je n’en trouve que quatre qui fassent partie de la Flore du Spitzberg ; ce sont : Ranunculus glacialis, Cardamine bellidifolia, Cerastium alpinum et Erigeron uniflorus ; la même proportion environ qu’au Faulhorn ; mais il y en a 25 qui se retrouvent en Laponie. En résumé, le sommet du Faulhorn et le Jardin ont 49 plantes communes. La proportion des plantes laponnes est de trente pour cent au Faulhorn, et de vingt-neuf au Jardin, environ du tiers dans les deux localités ; mais sur le sommet du Faulhorn et au Jardin, celles du Spitzberg ne forment que six pour cent du nombre total. La Flore subnivale des Alpes correspond donc à celle de la Laponie septentrionale, des environs de l’Altenfiord, par exemple, et pour trouver une végétation analogue à celle du Spitzberg, il faut nous élever plus haut dans les Alpes au-dessus de la limite des neiges éternelles.

Passage de l’Alten en Laponie. — Dessin de V. Foulquier d’après l’atlas de la Recherche.

Au haut des glaciers du revers septentrional du Mont-Blanc se trouve une petite chaîne de rochers isolés formant une île au milieu de la mer de glace qui les environne. Ils séparent l’un de l’autre à leur partie su-