Page:Le Tour du monde - 12.djvu/262

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avait livré les quatre districts au pillage. Les paysans ruinés s’étaient sauvés dans les bois et les montagnes avec tout ce qu’ils avaient pu sauver : ce que voyant le négus, il avait fait publier le jour même de mon passage à Debra Tabor et à Arengo, que « les coupables ayant été punis, il n’avait plus personne à frapper, et qu’en conséquence les habitants eussent à rentrer dans leurs villages sans crainte d’être inquiétés à l’avenir. »

Le soir même de la proclamation, les paysans réfugiés avaient commencé à rentrer dans leurs maisons dévastées : c’était ce qu’attendait leur aimable souverain. Le lendemain, un de ses généraux les plus sûrs, Ras Enghedda, se lançait avec sa cavalerie sur Fogara et Oanzaghié, et razziait tout ce qui avait échappé à la première rafle. La nouvelle de ce guet-apens impérial, arrivée à Choumaghina au moment où je me disposais à me mettre en route, consterna mes gens, et même l’homme du négus qui me servait de guide : ils déclarèrent unanimement que je ne pouvais continuer mon voyage sans risque certain d’être dépouillé par ces malandrins officiels, et peut-être assommé par-dessus le marché.


Porte à Arengo. — Dessin de Eugène Cicéri d’après un croquis de M. G. Lejean.

« Mais je suis l’hôte du négus, dis-je, et les gens d’Enghedda sont au négus…

— Ah ! vous croyez que cela fera quelque chose ! Vous êtes étranger, cela se voit !… »

Cela se voyait, en effet. Il paraît qu’en fait de pillage, le soldat abyssin est d’un sans-gêne primitif. J’en avais eu une preuve au Godjam, à Debra Maï, où les gens de Théodore avaient pillé sciemment un palais appartenant au négus lui-même.

Je feignis d’hésiter un peu, pour ne pas sembler un