elles descendent réellement au rang d’esclaves. C’est à
elles qu’incombent les travaux de la maison et des cultures,
pendant que le mari fume ou dort. Quand il s’absente,
il renferme celles qui ne l’accompagnent pas. La
prison est peu solide, il est vrai : des murailles de bambous
ne sont pas une barrière infranchissable ; il est
rare pourtant que les prisonnières cherchent à s’échapper.
Élevées à cette vie de sujétion, elles en trouvent les
rigueurs toutes naturelles ; enfin, dans un pays où les
moyens de transport et les bêtes de sommes manquent
absolument, ce sont encore les femmes qui en font l’office.
Il est inutile, du reste, d’insister sur cette misérable
condition des Gabonaises, qui ne leur est pas particulière
et se retrouve à peu près chez toutes les races africaines.
Il y a d’ailleurs le chapitre des compensations. Bien que
le mari soit jaloux, sinon de sa femme, du moins de ses
droits, il est obligé de lui tolérer une espèce de Sigisbé, un
conguié. Les usages protégent le conguié, le mari n’y peut
rien. Les usages protégent aussi la femme dans certains
cas intimes et délicats, et l’épouse par trop dédaignée
peut s’enfuir chez ses parents. Ceux-ci ne la rendent que
si le mari oublieux fait amende honorable et indemnise
par un cadeau, non pas son épouse outragée, qui devrait
pourtant compter pour quelque chose dans cette affaire,
mais son beau-père. Souvent aussi la femme négligée
s’adresse directement au chef du village qui a parfois à
juger, comme les cadis musulmans, des procès singuliers.
Enfin la « grande femme, » j’ai dit que c’était la première
en date, jouit d’immunités toutes spéciales. Elle
dirige la maison, travaille peu et porte rarement des fardeaux.
Si son mari est riche et par conséquent entouré
d’un nombreux troupeau conjugal, elle règne au gynécée
et en fait la police, sauf à supporter parfois la mauvaise
humeur du maître, en raison directe de l’autorité dont
elle jouit. Ordinairement encore c’est elle qui dirige les
Les filles du roi Louis. — Dessin de Gilbert d’après une photographie de M. Houzé de l’Aulnoit.
travaux des habitations, tandis que le mari reste au
village.
Malgré le triste rôle auquel est réduit l’élément féminin, c’est pourtant autour de lui que tout gravite dans la société gabonaise. Cela se conçoit ; car si le mari ne s’attache pas longtemps à sa femme par les liens de l’affection, il s’y rattache toujours par les motifs plus puissants de l’intérêt bien entendu. Une femme est un capital qu’il exploite de son mieux. C’est celui qu’il donne en nantissement lorsqu’il reçoit des marchandises en dépôt ; c’est celui qu’il engage, comme garantie de sa parole, pour conclure une affaire à long terme ; enfin, si dans ses relations commerciales avec d’autres indigènes il croit avoir été trompé, c’est encore ce capital qu’il tâchera de soustraire à son voleur, bien certain que celui-ci fera de son mieux pour le désintéresser, s’il ne peut pas rentrer par la ruse ou par la force dans la possession de son bien. Aussi, dans toute querelle, dans toute plainte portée devant un chef ou devant l’autorité française, au fond de toute affaire enfin, il y a une femme : femme volée en sa qualité de marchandise de prix, femme mécontente de son mari à tort ou à raison et réfugiée dans la maison paternelle, enfin femme enlevée. Et Dieu sait quelles discussions, quels éternels palabres résultent de toutes ces revendications conjugales !
Le cas de séduction est le plus grave ; car si le mari tolère l’inévitable conguié, il se montre intraitable pour tout autre. Si le délit est prouvé, le délinquant est obligé de payer l’amende et parfois de subir un châtiment corporel. Souvent le coupable est étranger et s’enfuit dans son village ; généralement il ne s’en va pas seul, et voilà la guerre allumée.
J’ai vu un jour, dans la rivière Ogo-Wai, un de ces ravisseurs. C’était un beau garçon au teint olivâtre, aux yeux très-doux, au type nègre très-atténué ; en un mot,