Page:Le Tour du monde - 12.djvu/299

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

danses s’organisent au son du tam-tam, car c’est la conclusion de toutes choses, du travail comme du plaisir. Les feux brillent à travers le feuillage, et jettent des reflets cuivrés sur ces intrépides danseurs à la peau reluisante de sueur et aux gestes lascifs. De nuit et de jour c’est une vie, une animation inconnue au village. Chacun a chassé la paresse originelle et travaille avec ardeur. Mais aussitôt que la clairière est ouverte et le gros œuvre terminé, le naturel revient au galop et les hommes retournent chez eux se reposer de leurs fatigues, en laissant aux femmes le soin d’ensemencer seules le terrain qu’ils ont déblayé par un commun effort.

C’est, en somme, pour la banane et le manioc que se développe cette activité. Tous deux semblent indigènes, bien que je n’aie jamais rencontré le bananier que dans des lieux autrefois cultivés. Cet arbre est, pour le pays, une ressource immense. On m’en a nommé dix-neuf espèces réputées différentes, et j’ai eu moi-même occasion d’en adresser plusieurs variétés au Jardin d’Acclimatation d’Alger. Quelques-unes portent des fruits énormes, mais aucune n’a le goût fin et délicat de la petite banane si connue dans nos colonies sous le nom de figue-banane ou figue Freycinet. — Le manioc a, sur celui d’Amérique, l’inappréciable avantage de n’être pas toxique. Il subit une préparation toute spéciale : on le réduit en une pâte nommée gouma, après une macération préalable qui lui donne un certain degré de fermentation, et un goût aigre et nauséeux très-apprécié des indigènes. C’est, avec le poisson sec et la banane cuite avant maturité, la base de l’alimentation.

Les condiments ne manquent pas à cette cuisine élémentaire. Il n’est pas de pays, peut-être, qui soit plus riche en produits oléagineux inexploités. Avec l’amande concassée de l’Oba, un beau manguier indigène, se fait le dika, dont le goût et la couleur rappellent le chocolat ; produit remarquable, que M. Aubry le Comte, aujourd’hui conservateur de l’Exposition coloniale, a le premier fait connaître. Deux arbres de la famille des saponacées, le djavé et le noungou, fournissent, le premier une huile à demi concrète, l’autre une graisse très-ferme et d’une parfaite blancheur. Un arbre très-élevé, le m’pôga, produit une huile excellente, mais d’une extraction difficile à cause de l’extrême dureté du fruit qui la contient. Une légumineuse arborescente, l’owala, donne une gousse énorme dont les graines sont oléagineuses et comestibles. Si l’on joint à cette liste bien incomplète le palmier à huile qui n’est pas très-commun, et l’arachide dont les indigènes se soucient peu, parce qu’elle exige un certain travail, on voit combien ce pays est riche en matières grasses végétales et quelles ressources les habitants pourraient y trouver s’ils voulaient se donner la peine non de cultiver, c’est presque superflu, mais seulement de multiplier et de grouper les espèces utiles.

Ne fermons pas cette revue sans parler des condiments de haut goût que produit le Gabon, mais qui sont d’ailleurs peu employés. En première ligne vient le maketa, gingembre doré de bonne qualité ; puis le yangué-bère, l’énoné et plusieurs autres plantes appartenant à ce genre cardamome dont les graines chaudes et aromatiques connues dans le commerce sous les noms de malaguette, poivre de Guinée, grains de paradis, etc., ont été très-employées autrefois chez nous dans les préparations pharmaceutiques et culinaires. Un arbre de la famille des anonacées, l’ogana, produit des gousses d’un arome un peu grossier. La muscade n’existe pas, je crois, dans le pays ; on y trouve pourtant deux muscadiers, le combo et le niohué, dont la noix est sans parfum, mais très-oléagineuse. Le vaniller est commun, mais non la vanille. J’ai rencontré en effet très-souvent cette orchidée, sans avoir jamais vu son fruit. Les femmes, qui emploient sa feuille pour des préparations de toilette, ne connaissent pas sa gousse et son parfum. Il est donc vraisemblable que la fécondation et la fructification naturelles de cette plante sont ici plus rares encore que dans les espèces d’Amérique.

Sensuel comme les Orientaux, le Gabonais prétend comme eux posséder des remèdes contre les défaillances physiques. L’aphrodisiaque le plus en renom est la racine de l’ibôga (taberna-ventricosa, famille des apocynées). C’est tout au moins un excitant général qui pourrait remplacer le café ; les indigènes s’en servent dans les longues excursions en pirogue, pour combattre le sommeil et ranimer leur ardeur. Les fruits de plusieurs sterculias jouissent de propriétés analogues. Le plus estimé est l’orendé rouge. Un autre, l’ombéné (sterculia acuminata de Palisot de Beauvois), est bien connu sous le nom de noix de colat ou de gourou. Son goût âpre et sucré imprègne fortement les papilles de la langue et les rend momentanément insensibles aux saveurs désagréables. L’eau saumâtre paraît alors fraîche et sucrée, propriété précieuse qui fait rechercher ce fruit dans le Soudan où il est l’objet d’un commerce important. Il n’y a pas un seul voyageur en ce pays, depuis René Caillé, qui n’ait vanté ses vertus.

Toutes ces substances ne coûtent aucun travail au Gabonais et lui sont fournies par les forêts au milieu desquelles sont situées ses cultures.

Ces forêts ont la vigueur et la puissance qu’on peut attendre d’une région inondée de soleil et de pluie. Autour d’arbres parfois gigantesques, se tordent des plantes grimpantes d’une incroyable multiplicité ; d’innombrables légumineuses, des liserons aux mille couleurs, des passiflores, des combrétacées, des bignonias de toutes les formes ; deux ou trois espèces de vignes à pampres énormes et dont le raisin, d’un assez bon goût mais peu charnu, s’améliorerait certainement par la culture ; des apocynées de toutes sortes, les unes sécrétant, comme l’inée, des poisons dangereux ; d’autres, comme le n’dambô, fournissant à la fois des fruits savoureux et une grande quantité de caoutchouc.

La nomenclature même très-abrégée de ces richesses botaniques serait interminable. Je ne puis me dispenser de citer l’ogina-gina, arbre à gomme gutte, l’okoumé ou bois à chandelle, arbre gigantesque qui sécrète une résine élémi abondante, et dans le tronc duquel se