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France, ou l’English spoken here et les English coffee rooms sont de plus en plus de rigueur ?

Les charbons de Cardiff viennent avec ceux de Newcastle dans tous les ports de la Méditerranée et sont bien connus de nos marins. Le Cardiff, houille dure, sèche, brûlant sans flamme mais avec peu de cendres et une très-grande chaleur, et le Newcastle, houille collante, dégageant une flamme longue et brillante, sont de vieilles connaissances pour tous les chauffeurs et tous les mécaniciens de bateaux à vapeur. Longtemps les houilles anglaises ont fait à nos charbons français une terrible concurrence, et la routine s’en mêlant, on leur donnait partout la préférence à bord de nos vapeurs de guerre et de commerce. Heureusement dans ces dernières années le charbon a été déclaré contrebande de guerre. Il n’a pas fallu moins que cette circonstance pour faire ouvrir les yeux au gouvernement français. « Mais nous avons peut-être, s’est-on dit un jour en se ravisant dans nos arsenaux, des charbons comparables à ceux de Cardiff et de Newcastle, » et sur ce, le ministre de la marine a convoqué le ban et l’arrière-ban de ses ingénieurs et de ses officiers. La chose a été pratiquement vérifiée, officiellement reconnue : les charbons produits par nos mines valent ceux d’Angleterre, même à la mer, et aujourd’hui l’on n’emploie plus, pour l’approvisionnement de notre flotte militaire à vapeur, que des charbons indigènes. La marine marchande commence aussi à ouvrir les yeux. Ah ! routine, routine, que d’inepties on commet à te suivre !

Cardiff ou nous venions de débarquer n’est pas seulement connue par le commerce d’exportation du charbon que les mines du pays de Galles versent incessamment sur ses quais ; elle est aussi célèbre par son château fort où mourut après une captivité de trente-six ans Robert, duc de Normandie, fils aîné de Guillaume le Conquérant. Il fut enfermé là par son frère Henry, qui, non content de le retenir prisonnier et de lui ravir ses droits à la couronne, lui fit de plus crever les yeux. C’est ce Robert auquel l’histoire, pour le distinguer de son aïeul, Robert le Diable, a donné le surnom de Courte Heuse ou Courte cuisse, sans doute parce qu’il était boiteux. Les Anglais (qui ne disent pas la cuisse, mais la jambe d’un poulet), ont transformé en celui de Courte botte le sobriquet de Courte cuisse.

Le château de Cardiff fut pris et démantelé par Cromwell. Les ruines qui en subsistent sont imposantes, et ces vieilles tourelles, ces épaisses murailles encore debout nous ramènent en plein moyen âge, au temps des guerres féodales, à l’époque des archers et des chevaliers bardés de fer.

La population de Cardiff est de plus de trente-six mille habitants. C’est le commerce du charbon et du fer qui l’a rendue populeuse et prospère, car en 1800 elle ne renfermait pas plus de mille habitants. Bien des villes d’Angleterre offrent un pareil exemple d’accroissement pour ainsi dire instantané, tant est grande la force d’expansion que possède l’industrie.

Située à l’embouchure de la rivière Taff, Cardiff communique par le moyen d’un canal et d’un chemin de fer avec l’intérieur du pays, surtout avec les grandes forges ou l’on fabrique le fer et les mines d’où l’on tire le charbon.

Le soir même de notre arrivée à Cardiff, nous nous dirigions sur Swansea. Du paysage de la route, de l’aspect que présente la contrée en cet endroit, je ne dirai rien, n’ayant fait ce trajet que de nuit.

Nous descendîmes à Maxworth-arms-hotel, que notre guide Murray, ouvrant une parenthèse discrète, nous indiquait comme supportable (tolerable). C’était peu flatteur, et cependant l’hôtel aux armes de Maxworth venait en première ligne entre toutes les auberges de Swansea jugées dignes d’une mention par le sévère prototype de la plupart des auteurs de guides du voyageur.

Sous le noble toit auquel, pour obéir fidèlement à Murray, nous avions donné la préférence, et où l’écu armorié des Maxworth, écartelé, fascé d’azur et de sinople, se distinguait sur les panneaux des portes et jusque sur les vitres des fenêtres, nous passâmes une bonne nuit. Je la souhaite aussi paisible à tous ceux qui après nous viendront jusqu’à Swansea, quel que soit le but qui les y amène, l’industrie, le commerce, le désir de voir et d’apprendre ou le simple désœuvrement.

Le lendemain, des l’aurore, nous étions sur pied, visitant surtout le marché. C’est là que l’on est toujours sûr de rencontrer les types les plus caractéristiques d’un pays, l’habitant de la campagne ayant moins que celui des villes mêlé son sang au sang étranger. Les femmes du pays de Galles, au chapeau de feutre noir, élevé, roide, rappelant de tout point, sauf une hauteur plus grande encore, celui des hommes, cette affreuse coiffure dont nous ne pouvons parvenir à nous débarrasser depuis que la mode nous l’a imposée vers la fin du dernier siècle, nous apparurent là dans toute l’excentricité de leur costume primitif. Déjà la veille au soir, en approchant de Swansea, nous avions reçu dans notre wagon quelques-unes de ces Galloises dont la figure des frenchmen, nouveaux pour elles, paraît-il, avait singulièrement éveillé et la loquacité et la gaieté communicative. Nous étions devenus pour ces dames et leurs compagnons le sujet de la causerie. Nous le devinions à leurs gestes, à leurs éclats de voix ; mais comme elles parlaient le dialecte du pays, le gallois, auquel, cela va sans dire, nous ne comprenions pas un mot, bien que Gaulois nous-mêmes, nous ne pûmes ni nous défendre ni nous mêler à la conversation. Ces braves femmes étaient du reste pour mes deux compagnons, qui n’avaient jamais vu encore la plus belle moitié de l’espèce humaine ainsi coiffée, ainsi attiffée, un égal sujet d’étonnement, et, sous ce rapport, on peut dire que la surprise était partagée.

Outre le chapeau de feutre élevé qui fait sur leurs têtes un effet si étrange, et qui chez quelques-unes est de forme tronconique comme le chapeau calabrais, ou bien a le bord de derrière relevé à la façon du bonnet de Louis XI, les femmes du pays de Galles portent aussi