Page:Le Tour du monde - 12.djvu/381

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée


de jeu ; les cartes sont tellement usées que c’est à peine si on distingue les points. Ils ne sont pas moins passionnés pour d’autres jeux de hasard, notamment celui de pile ou face, cara y cruz ; et comme ils ne se font pas faute de tricher, il est rare que la partie ne finisse pas par quelque rixe, où les coups de poings, les coups de bâtons et les pierres pleuvent comme grêle : les pedreas, c’est ainsi qu’ils appellent leurs combats à coups de pierre, ont ordinairement lieu dans le torrent de Guadalmedina, qui leur fournit en abondance des projectiles de tout calibre. C’est là aussi que se vident les querelles de barrios, car Malaga est divisée en trois barrios ou quartiers principaux : la Victoria, le Perchel et la Trinidad, dont les habitants ont des mœurs et même des costumes particuliers, et ces barrios se sont voué depuis longtemps une antipathie réciproque. C’est en vain que les autorités ont voulu faire cesser les pedreas ; ces luttes se renouvellent de temps en temps, avec une sorte de périodicité, notamment les dimanches et jours de fête.

Le charran est grand fumeur, et passé maître dans l’art de ramasser les bouts de cigares, qu’il transforme immédiatement en cigarettes. Quand le hasard ou l’adresse a fait tomber un puro entre ses mains, il le partage fraternellement avec ses camarades : ce partage s’opère d’une façon assez originale : les vauriens se placent par rang d’âge, et en rond : le plus âgé allume le cigare, tire une bouffée à toute haleine, et le passe à son voisin, qui en fait autant ; et le puro passe ainsi de main en main, chacun humant la plus grande chupada possible, jusqu’à complète extinction.

Il est rare que le charran ait un domicile : il couche l’été à la belle étoile, le long des maisons, sans se soucier des moustiques dont sa peau bronzée défie les piqûres. L’hiver, il trouve toujours un zaguan ou portique pour reposer sa tête à l’abri des vents du Nord.

Bien que le charran se trouve mêlé à toutes les démonstrations, et qu’il soit de toutes les émeutes, il n’a pas d’opinion politique : on raconte à ce sujet que lorsque les troupes françaises, sous les ordres du général Sébastiani, se présentèrent devant Malaga, des groupes de charranes se mêlèrent aux partisans de la résistance, en poussant les cris de : Viva Ferdinando VII ! Des gens armés de couteaux et de poignards ne pouvaient tenir longtemps devant la mitraille, et les Français ne tardèrent pas à faire leur entrée dans la ville, précédés des mêmes groupes de charranes, qui criaient à tue-tête : Viva Napoléon !

Nous avons déjà dit quelques mots du baratero : voilà un type andalous par excellence, et s’il n’appartient pas, comme le charran, exclusivement à Malaga, nulle part en Andalousie il ne se trouve aussi complet et aussi prononcé que dans cette ville.

Le baratero est un homme de la lie du peuple, qui a acquis une habileté extraordinaire à manier la navaja et le puñal, et qui exploite la terreur qu’il inspire pour exiger des joueurs un droit sur l’enjeu de la partie. Nous l’avons déjà dit, les Andalous de la basse classe sont extrêmement joueurs : chaque ville renferme un assez grand nombre de gens sans aveu désignés sous le nom de taures[illisible], nom qui correspond à peu près à celui de grecs, et qui n’ont guère d’autre industrie que leur habileté au jeu. Il est rare que les vices d’une nation ne soient pas plusieurs fois séculaires : les ordonnances d’Alphonse le Savant contre les tafurerias ou maisons de jeu prouvent que dès cette époque la passion du jeu était déjà très-violente en Espagne ; elle n’avait en rien diminué au dix-septième siècle, si nous en croyons un curieux ouvrage d’un auteur sévillan, le licencié Francisco Luque Fajardo, contre les oisifs et les joueurs, ouvrage dans lequel l’auteur énumère les nombreux tours, pratiques et escroqueries employés par les grecs du temps.

Chaque ville d’Andalousie a donc ses garitos ou tri-