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La plaza de Toros de Ronda est une des meilleures et des mieux construites de l’Andalousie, et digne d’une ville qui a toujours été regardée comme la terre classique de la tauromachie ; les jeunes Rondeños jouent au taureau comme chez nous les enfants jouent au soldat.

Un jour que nous descendions la Mina de Ronda, un escalier, ou, pour mieux dire, un casse-cou creusé dans le rocher et qui conduit aux molinos arabes, nous fûmes témoins d’une scène de ce genre, — petit tableau de famille on ne peut mieux composé, que Doré s’empressa de fixer sur son album : le père de famille était à genoux, tête baissée, dans la position du taureau qui va se précipiter sur son adversaire ; un gamin de huit ans, dans la position du matador, tenait de la main gauche sa veste en guise de muleta, et de la droite un jonc qui lui servait d’espada. Un autre gamin, à cheval sur les épaules de son frère et un long bâton à la main, paraissait très-fier de jouer le rôle de picador. Les voisins, qui s’étaient approchés, regardaient le combat en amateurs consommés, et nous demandâmes nous-mêmes la permission d’assister à la corrida.

Ronda a donné son nom aux Rondeñas, ces chansons si populaires dans toute l’Andalousie ; comme les Malagueñas, les Rondeñas ont sans aucun doute une origine moresque : parmi les airs andalous, il n’en est pas de plus mélancoliques ni de plus expressifs : la guitare, qui a succédé au laud des Mores, accompagne toujours la voix, soit avec des accords plaqués, soit avec des arpèges, qui servent à la fois de prélude et d’accompagnement. Les virtuoses de Ronda sont renommés dans toute l’Espagne ; c’est dans le silence majestueux d’une chaude nuit d’été, quand on traverse une petite ville de la Serrania, qu’il faut entendre les accords mélancoliques de la Rondeña ; il semble que ces mélodies, si simples et si primitives, se prêtent à des variations infinies suivant le caprice ou l’inspirat1on du chanteur.

De même que les Malagueñas, les Rondeñas se composent de couplets de quatre vers, dont le premier se répète deux fois ; voici la traduction du couplet dont nous donnons plus bas la musique :

« Les yeux de ma brune ressemblent à mes maux ; ils sont grands comme mes peines, et noirs comme mes chagrins[1]. »

  1. Nous devons à l’obligeance de Mme Aline Hennon l’accompagnement, pour piano, de cette Rondeña.