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jours, notamment lorsque souffle le brûlant solano, où l’on peut dire que presque toute la ville en est imprégnée.

Les bodegas de Jerez présentent, comme les chaix de Bordeaux, le superbe coup d’œil d’innombrables barriques de toutes dimensions alignées en bon ordre sur cinq ou six rangs de hauteur ; la ventilation est admirablement ménagée pour que la température reste toujours à un degré convenable, et pour faciliter l’évaporation.

Une bodega contient ordinairement quatre ou cinq récoltes, car le vin ne se vend guère avant cinq ans ; elle contient en outre l’assortiment des vins qu’on laisse vieillir, et qu’on appelle vinos añejos, assortiment qui comprend des vins d’âges différents ; puis enfin les vinos madres ou vins mères, qui se conservent toujours en quantité égale.

La contenance moyenne d’une bodega est de cinq mille botas de trente arrobas (quinze à seize litres) chacune ; celle de M. Domecq contient, dit-on, jusqu’à quinze mille futailles. Quand nous la visitâmes, on nous reçut avec la plus grande courtoisie ; le capataz qui nous accompagnait nous fit marcher près d’une heure dans de véritables allées de tonneaux ; de temps en temps il s’arrêtait pour nous faire goûter d’un vin précieux dont il retirait une certaine quantité en plongeant dans le tonneau une petite pompe, qu’il vidait ensuite dans des cañas, verres longs et étroits qui ressemblent assez à un verre de lampe qu’on aurait coupé par la moitié.

Les cañas de jerez jouent un très-grand rôle dans les chansons populaires d’Andalousie, à côté des trabucos, des cigarros, de la sandunga, et autres casas de Andalucia :

Tu sanduuga y un cigarro,
Y una caña de jerez ;
Mi jamelgo y un trabuco,
¿ Que mas gloria puede haver ?

Ainsi chante un Majo andalou, en s’adressant à sa Maja :

 « Ta grâce et un cigare,
Et un verre de jerez ;
Mon cheval et un tromblon,
Quoi de meilleur au monde ? »

La fabrica de toneles n’est pas moins intéressante à visiter que les bodegas ; de nombreux ouvriers sont occupés à planer et à cintrer des planches de merrain de Hollande choisies avec soin ; d’autres les ajustent, les cerclent, et une fois les tonneaux terminés, on les remplit, avant d’y mettre le vin, d’une eau limpide qu’on renouvelle souvent.

Nous allâmes avant de quitter Jerez, visiter sur les bords du Guadalete un monticule non loin duquel, suivant la tradition, se livra en 711 la fameuse bataille à la suite de laquelle Roderick, le dernier roi goth d’Espagne, livra le pays aux Musulmans, et nous continuâmes notre route vers Arcos de la Frontera.


Arcos de la Frontera. — La puente de Arcos. — San Lucar de Barrameda ; le manzanilla. — Palos ; le départ de Christophe Colomb. — Bonanza. — Le Guadalquivir. — La Isla Mayor et la Isla Menor. — Les taureaux de combat. — Un Picador en voyage. — Une fête andalouse : le Herradero, le Tentadero ; le baptême des taureaux. — Coria. — San Juan de Alfarache. — Arrivée à Séville.

Arcos de la Frontera, malgré le voisinage du chemin de fer de Cadiz à Séville, est un des endroits qui ont le mieux conservé les mœurs et les costumes andalous. La ville, qui s’élève au-dessus du Guadalete, est séparée en deux par une rue longue et escarpée, horriblement pavée, mais des plus pittoresques ; suivant l’ancien usage un ruisseau, ménagé au milieu, sert à l’écoulement des eaux ; les murs blanchis à la chaux, comme du temps des Arabes, les toits plats couverts de grandes tuiles imbriquées, les rejas de fer qui défendent les fenêtres ; tout cela donne à la Calle major d’Arcos de la Frontera un aspect tout à fait original. Tout en haut de la ville s’élèvent, à côté de l’église de vieilles tours moresques couronnées de créneaux ; le sacristain nous fit monter au sommet du clocher, d’où nous découvrîmes une vue superbe : à nos pieds une colline plantée d’oliviers ; plus bas le Guadalete, qui sillonnait une plaine admirablement cultivée, et dans le dernier plan les hautes crêtes de la Serrania de Ronda, dont les découpures bizarres se confondaient avec les nuages.

Le pont d’Arcos, sur le Guadalete, a donné lieu à toutes sortes de dictons populaires, comme chez nous le pont d’Avignon : ainsi quand une personne entreprend une tâche sans la mener à fin, on la compare à la Puente de Arcos, « qu’on n’acheva jamais, bien qu’on eût à portée les pierres et la chaux. »

Como a la puente de Arcos
Te ha de suceder ;
Que trajeron cal y canto,
Y se quedó por hacer ;

Ou bien encore ce refran :

Aquel que mas alto sube
Mas grande porrazo dá :
Mira la puente de Arcos,
En lo que vino á parar !

Celui qui veut s’élever trop haut fait une chute plus grande : vois ce qui est arrivé au pont d’Arcos ! » «  Remontons le cours du Guadalete jusqu’à Jerez, et en quelques heures nous arrivons à San Lucar de Barrameda, le pays des jolies filles, si nous en croyons cet autre refrain populaire :

Para alcarrazas, Chiclana,
Para trigo, Trebujena,
Y para niñas bonitas,
San Lucar de Barrameda.

Pour les alcarrazas, Chiclana, pour le blé, Trebujena, et pour les jolies filles, San Lucar de Barrameda. »

San Lucar est situé sur la rive gauche du Guadalquivir, à peu de distance de l’embouchure du fleuve, qui