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Et sur la puerta de Jerez, reconstruite en 1561, on grava cette autre inscription en vers espagnols, dont le sens est à peu près le même :

Hercules me edificó,
Julio Cesar me cercó
De muros, y torres altas ;
El Santo Rey me ganó
Con Garci Perez de Vargas.

« Hercule m’édifia, Jules-César m’entoura de murailles et de tours élevées ; et le Saint Roi (saint Ferdinand) me conquit avec l’aide de Garci Perez de Vargas. »

Hercule joue un rôle très-important dans l’histoire fabuleuse des origines de la nation espagnole, et le nom du plus célèbre des héros de l’antiquité est tellement populaire à Séville qu’on a donné son nom à une des principales promenades : la Alameda de Hercules.

Prise par les légions romaines sous le commandement de Jules-César, quarante-cinq ans avant Jésus-Christ, Hispalis reçut le nom de Julia Romula, — la petite Rome ; — mais ce nom ne lui fut pas conservé sous la domination des Vandales, qui classèrent les Romains en 411, et furent eux-mêmes bientôt chassés par les Wisigoths, qui s’établirent dans l’Hispanie. Lorsque, vers le commencement du huitième siècle, les Arabes envahirent la Péninsule, et, après la fameuse bataille du Guadalete, refoulèrent les Wisigoths jusque dans le nord, Séville devint une dépendance du califat de Cordoue, après qu’Abderrahman Ier, qui n’était lui-même que vice-roi des califes de Damas, eut choisi cette ville pour capitale de ses États.

Lorsqu’au onzième siècle le califat de Cordoue fut démembré à la suite des divisions qui avaient bouleversé l’Espagne arabe, Séville fut gouvernée par quelques princes particuliers qui la possédèrent pendant plus de cent ans ; elle fit ensuite partie des empires almoravide et almohade. Après la chute des Almohades, Motawakkel-ben-Houd la posséda quelque temps, et peu après, en 1236, elle devint la capitale d’une république moresque.

C’est douze ans plus tard, le 23 novembre 1248, que Séville, dont le siége n’avait pas duré moins de quinze mois, ouvrit ses portes à Ferdinand III, roi de Castille, après être restée 536 ans sous la domination musulmane.

La prise de Séville est un des événements les plus importants des annales de l’Espagne, et elle a été célébrée sur tous les tons par les chroniqueurs et les poëtes nationaux, qui ont souvent ajouté la légende à l’histoire. Plus tard, Séville fut la capitale d’Alphonse el Sabio, — le savant (et non pas le sage), et de Pierre de Castille, le Cruel, appelé par quelques historiens espagnols el Justiciero, — le justicier. L’importance de Séville grandit encore sous Ferdinand et Isabelle, après la découverte de l’Amérique, et plus tard sous le règne de Philippe II ; et si aujourd’hui elle est quelque peu déchue de sa splendeur passée, elle est encore une des premières villes d’Espagne et mérite toujours le titre de reine de l’Andalousie.

Avant de commencer nos courses dans Séville, nous voulûmes faire quelques excursions à Italica et dans les environs, autant pour visiter les ruines de l’antique rivale de Séville, que pour assister à la célèbre fête populaire de Santi-Ponce, — tel est Le nom du village qui a remplacé l’ancienne ville romaine. Italica était aussi nommée, à l’époque romaine, Divi Trajani civitas, la ville de Trajan, parce qu’elle donna naissance au célèbre empereur. Italica fut fondée à peu de distance d’Hispalis, par Scipion l’Africain, qui lui donna pour premiers habitants des vétérans des légions romaines ; plus tard l’empereur Adrien, qui était aussi né à Italica, orna la ville de splendides édifices. Italica fut également la patrie de Théodose ; sous les rois wisigoths, elle ne fut pas moins florissante. Léovigilde reconstruisit ses murs vers la fin du sixième siècle, quand il fit le siége d’Hispalis, où son fils Hermenigilde, en révolte contre lui, s’était fortifié. Quand l’Espagne devint musulmane, Italica, abandonnée pour Séville, décrut rapidement, et son nom même, dont les Arabes avaient fait Talikah ou Talkah, ne tarda pas à être complétement oublié.

Comme nous l’avons dit, l’ancienne Italica est aujourd’hui remplacée par un village qu’on appelle Santi-Ponce : c’est dans ce village, fort misérable du reste, et qui n’a rien de remarquable en lui-même, que se donne tous les ans, dans les premiers jours d’octobre, la fameuse Feria de Santi-Ponce, une des fêtes les plus fréquentées des environs de Séville.

Nous partîmes de Séville de grand matin, pour nous rendre à la Feria ; la route était déjà encombrée de calesas de toutes couleurs, non moins antiques et non moins enluminées que la nôtre ; d’autres véhicules de tous genres, carros, carretas, birlochos, galeras, étaient chargés de gens du peuple et de femmes dans leurs plus brillants costumes, qui faisaient bourdonner les panderetas, grincer les guitares et claquer les castagnettes ; de temps en temps un majo à cheval, portant sa maja en croupe, dépassait la file des équipages ; chaque côté de la route était garni de piétons qui échangeaient mille quolibets avec les gens à cheval et en voiture, déployant ce brio et cet entrain qui n’appartiennent qu’aux Andalous.

Après avoir longé quelque temps les bords du Guadalquivir, nous laissâmes de côté la Cartuja, un ancien couvent de Chartreux, occupé aujourd’hui par une fabrique de terres de pipe et de porcelaine appartenant à un Anglais, M. Pickman. Cette fabrique doit inonder l’Espagne de ses produits, si nous en jugeons par la vaisselle, invariablement la même, que nous avons retrouvée dans toutes les fondas de la Péninsule.

En suivant les bords du fleuve, nous arrivâmes enfin à Santi-Ponce, qui est bâti à quelques centaines de mètres ; les danses avaient déjà commencé, au son des guitares et des castagnettes ; les gitanas disaient la bonne aventure ; les ciegos (aveugles) chantaient leurs complaintes en s’accompagnant sur la guitare ou le violon ; les aguadores distribuaient à droite et à gauche une eau plus ou