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lousie : d’énormes aloès, longs et acérés, que les paysans appellent, dans leur langage pittoresque, munda-dientes del diablo, — les cure-dents du diable, — s’élèvent à droite et à gauche pour garantir les champs des ravages des bestiaux. La ville, fortifiée dès le temps des Romains, remonte, dit-on, à une époque plus ancienne ; nous y achetâmes d’un albañil (maçon) qui nous assura l’avoir trouvée en creusant des fondations, une superbe médaille d’Athènes apportée anciennement, sans aucun doute, par les Phéniciens.

Moron ne renferme, du reste, rien de remarquable ; seulement cette ville était, naguère encore, assez mal famée sous le rapport du brigandage, et on lui appliquait, ainsi qu’à Malaga, à Utrera et à quelques autres villes d’Andalousie, ce dicton significatif : Mata á un hombre, y vete á Moron. — Tue un homme et va-t’en à Moron !

Un couplet populaire, qui s’adresse à une jeune Andalouse, montre encore combien la réputation de Moron est proverbiale en ce qui touche les ladrones :

Una porcion de civiles
Han salido de Moron
En busca unos ladrones ;
Mi niña, tus ojos son.

« Une escouade de civiles (gendarmes) est partie de Moron à la recherche de brigands ; ces brigands, ma petite, ce sont tes yeux. »

Citons encore une locution proverbiale qui figure sur une faïence populaire du temps de Charles III, que nous avons rapportée d’Espagne : El gallo de Moron, sin pico ni plumas, y cacareando. Il s’agit du « coq de Moron, qui n’a plus ni bec ni plumes, et qui chante toujours. » Nous ignorons, du reste, l’origine de ce dicton ; tout ce que nous pouvons dire, c’est qu’il est très-connu d’un bout à l’autre de l’Espagne.

C’est à quelques lieues de Moron que s’élève, sur une colline, la petite ville d’Osuna, illustrée par une des plus célèbres familles d’Espagne, qui existe encore, et dont le membre le plus célèbre fut Pedro Giron, duc d’Osuna, qui joua un si grand rôle sous le règne de Philippe III. Bien que la noblesse des Giron ne date que du quinzième siècle, les anciens généalogistes espagnols, toujours passionnés pour le fabuleux, ont voulu faire remonter cette famille à Geryon, ce géant qui nourrissait ses bœufs de chair humaine, et qui fut tué par Hercule.

À égale distance de Moron, mais dans la direction de l’ouest, se trouve Utrera, une des plus charmantes villes d’Andalousie ; Utrera, célèbre par ses taureaux, est la patrie de plusieurs toreros estimés ; c’est dans les environs de la ville que paissent les ganaderias ; ces troupeaux sont très-estimés par les aficionados et fournissent les bichos, pour parler leur langage, aux plus belles corridas de Séville et des environs.

Les courses de taureaux d’Utrera se donnent sur la plaza de la Constitucion, dont les maisons sont garnies de balcons et de miradores ; c’est ainsi qu’elles se donnaient autrefois, de même que les auto-da-fe, — deux funciones nationales, — sur la plaza Mayor de Madrid, et qu’on donne encore les corridas sur la grande place de Salamanque.

Nous montâmes en wagon à Utrera, qui est une des principales stations du chemin de fer de Séville à Jerez et à Cadiz ; après avoir traversé celles de la Venta de las Alcantarillas et de las Cabezas de San Juan, nous descendîmes à celle de Lebrija, qui précède, sauf une station de peu d’importance, celle de Jerez. Ensuite le chemin de fer passe au Puerto Santa-Maria, d’où il se dirige sur le Puerto Real, San Fernando et Cadiz, en contournant la baie et en décrivant à peu près un fer à cheval.

Lebrija est une assez jolie ville bâtie sur une éminence, à une lieue environ du Guadalquivir, au milieu d’une plaine sujette aux inondations ; quand nous eûmes visité la principale curiosité de Lebrija, son église, dont les habitants sont très-fiers parce qu’elle a été bâtie sur le modèle de la Giralda de Séville, nous retournâmes à la station pour prendre le train qui venait de Cadiz, et deux heures après nous étions dans la gare de Séville.


La calle de las Sierpes. — Un patio. — La mantilla de tira. — Le Correo ; les noms de femme. — La casa de Avuntamiento. — Les armes et les devises de Séville ; la Empresa des Rois catholiques. — La calle de los Abades. — La maison de don Juan. — La calle de la Feria ; les Ferias de Murillo. — La Macarena. — La tahona et le tahonero. — L’hôpital de la Sangre. — La Plaza de la Magdalena. — Les Puertos de agua ; los bebidas ou rafraîchissements populaires. — Le Mercado. — L’Alameda de Hercules et les Delicias de Cristina.

Nous étions descendus à la fonda de Europa, dans la calle de las Sierpes ; nos chambres étaient au rez-de-chaussée et donnaient sur un grand patio, vaste cour entourée de portiques aux belles colonnes de marbre blanc avec des chapiteaux arabes. Au centre de notre patio, un vrai modèle du genre, s’élevait un jet d’eau qui retombait en gerbe dans une grande vasque, et arrosait un jardin planté en pleine terre d’arbres et d’arbustes des pays méridionaux ; or, y voyait des latanos ou bananiers aux larges feuilles déchiquetées, des orangers et des citronniers chargés à la fois de fleurs et de fruits, et une jolie plante aux fleurs jaunes qu’on appelle, en Andalousie, dama de noche, — dame de nuit, — parce que les fleurs, qui restent fermées toute la journée, s’ouvrent le soir et répandent toute la nuit une odeur des plus suaves.

La calle de las Sierpes, c’est-à-dire la rue des Serpents, ainsi nommée nous ne savons trop pourquoi, est située au cœur de Séville, à proximité de la plaza de la Constitucion, de l’Ayuntamiento, de la cathédrale et de la nouvelle promenade, la Alameda del Duque. La calle de las Sierpes est le véritable centre du mouvement, de la pétulance et de l’activité réelle ou apparente des Sévillans. Les voitures, fort rares du reste dans les autres parties de la ville, ne peuvent y circuler, ce qui laisse aux piétons toute liberté d’y flâner à leur aise. Le soir surtout c’est un va-et-vient, un mouvement continuel de promeneurs qui rappelle, avec plus de pittoresque ce-