Page:Le Tour du monde - 12.djvu/430

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.


La Giralda. — La statue de la Foi, ou Giraldillo. — Le Caballero del Bosque et la Giralda. — Les cloches. — Le Patio de los Naranjos. — Les portes et les marteaux arabes. — La Puerta del Perdon ; la Puerta del Lagarto. — Les chanoines de Séville. — La cathédrale : le Monumento. — La Custodia de Juan de Aife. — Le Cirio pascual. — Le saint Christophe. — La Capilla mayor. — Tombeau de Ferdinand le Catholique et de Maria Padila. — La salle capitulaire et la sacristie. — Le saint Antoine de Murillo. — Les peintures sur verre.

La Giralda, cette merveille qui fait battre le cœur de tous les enfants de Séville, mérite, sous bien des rapports, la réputation qui lui a été faite ; on peut dire que cette haute et magnifique tour est unique en Europe ; le beau Campanile de Saint-Marc, à Venise, construit à peu près à la même époque, est peut-être le seul monument qu’on puisse lui comparer. Les Sévillans, dans leur enthousiasme, vont jusqu’à mettre leur tour en parallèle avec les pyramides d’Égypte, et ils l’appellent la huitième merveille du monde, la mettant au-dessus des sept autres merveilles :

Tu, mara villa octava, maravillas
A las pasadas siete maravillas.

« Le meilleur pays de l’Espagne, dit un ancien auteur sévillan, c’est celui que baigne le Bétis (Guadalquivir), et parmi les pays que parcourt le Bétis, le meilleur est celui que domine la Giralda. »

La mejor tierra de España
Aquella que el Betis baña.
De la que el Betis rodea
La que la Giralda ojea.

Les Sévillans se plaisent à raconter la répartie d’un de leurs compatriotes au sujet de la Giralda : il s’agit d’un étranger, Français ou Anglais, qui venait de la voir pour la première fois et qui ne trouvait pas de termes assez expressifs pour traduire son admiration :

« Puez zeño, s’écria l’Andalou dans son dialecte et avec son accent aussi prononcé que celui des Marseillais, no crea uzté que la han traido de Paris ni de Londrez, que tal cual uzté la vé, la hemoz hecho acá en Zeviya ! »

« Eh bien ! monsieur, ne croyez pas qu’on l’ait apportée de Paris ni de Londres ; telle que vous la voyez, c’est nous qui l’avons faite ici, à Séville. »

La tradition attribue la construction de la fameuse tour à un Arabe de Séville nommé Geber ou Gueber, le même qu’on a donné à tort comme l’inventeur de l’algèbre ; suivant une autre version, elle aurait été bâtie par un architecte du nom d’Abou Yousouf-Yacoub, vers la fin du douzième siècle. Ce qui est certain, c’est que la Giralda est d’une architecture à la fois gracieuse et imposante ; la Giralda, construite en briques d’un ton rosé qui prennent au soleil une couleur charmante, est carrée et ses murs sont d’une grande épaisseur ; l’intérieur est formé par une espèce de massif de maçonnerie, également carré, qui n’a pas moins de vingt-trois pieds d’épaisseur, pilier colossal qui s’élève jusqu’au sommet de la construction arabe, c’est-à-dire à deux cent cinquante pieds de hauteur. Entre ce massif et les quatre murs extérieurs, est ménagé un vide éclairé par de petites fenêtres à doubles arceaux en fer à cheval, — ajimeces — que séparent au milieu de minces colonnettes. C’est dans ce vide que se trouve, non pas l’escalier, mais une rampe ou plan incliné en pente tellement douce, qu’un homme à cheval pourrait facilement monter jusqu’au sommet ; on assure même que deux hommes de front peuvent ainsi monter jusqu’à la moitié de la tour.

L’architecte arabe avait couronné la Giralda de quatre énormes globes de métal doré tellement brillants, dit la Cronica general de San Fernando, qu’on les apercevait de huit lieues quand ils étaient éclairés par le soleil, et la même chronique ajoute qu’il fallut élargir une des portes de la ville pour les faire entrer.

Les globes furent renversés, en 1395, par un tremblement de terre ; en 1568, Hernan Ruiz, de Burgos, exhaussa la tour de cent pieds, en y ajoutant un clocher dans le goût de l’époque. Cette construction est d’un très-bel effet ; autour du second corps se lit, en énormes lettres au gustales, ce passage du Livre des Proverbes :

NOMEN DOMINI FORTISSIMA TURRIS.

« Le nom du Seigneur est la plus forte tour. »

Le clocher est couronné d’une statue de bronze représentant la Foi, fondue par Bartolomé Morel vers 1570 ; bien que cette statue soit de proportions colossales, elle est placée sur un pivot, de manière à tourner au moindre vent ; c’est ce qui l’a fait appeler la Giralda, du verbe girar, qui signifie tourner. On donna plus tard ce nom à la tour elle-même, et pour désigner la statue on se servait du diminutif Giraldilla ou Giraldillo, qui signifie littéralement girouette, nom assez singulier pour une statue représentant la Foi, qui, de son essence, est fixe et immuable.

Cervantès, qui connaissait bien Séville, n’a pas oublié la Giralda dans son Don Quichotte ; quand le caballero del Bosque fait le récit des merveilleuses prouesses qu’il fit en l’honneur de la belle Casildea de Vandalia :

« Une fois, dit-il, elle m’ordonna d’aller défier cette fameuse géante de Séville nommée la Giralda, aussi vaillante et aussi forte que si elle était de bronze, et qui, sans jamais changer de place, est la femme la plus mobile et la plus inconstante du monde. Je vins, je la vis, je la vainquis, et je la forçai à rester immobile comme un Terme, car, pendant plus d’une semaine, il ne souffla pas d’autre vent que celui du nord. »

Pendant que nous étions au sommet de la Giralda et que nous admirions le merveilleux panorama qui se développe sur le Guadalquivir, la campagne de Séville et les hautes sierras aux teintes d’azur, on se mit à sonner, avec un vacarme effroyable, quelques-unes des cloches du Campanile, qui sont au nombre de vingt-quatre ; les deux plus grosses s’appellent Santa Maria et San Miguel ; les autres portent également des noms de saints et de saintes, comme San Cristobal, San Fernando, Santa Barbara, Santa Inès, etc.