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L’art de la sonnerie nous a paru beaucoup plus cultivé en Espagne que chez nous ; les campaneros de Séville se livrèrent devant nous à de prodigieux exercices de gymnastique pour mettre leurs cloches en mouvement ; tantôt ils se suspendaient à la corde pour mettre la cloche en branle, en se laissant enlever à une hauteur effrayante ; tantôt ils sonnaient à badajadas ou à golpe de badajo, c’est-à-dire en agitant le battant au moyen d’une corde, soit lentement, soit à repique, ou à coups secs et précipités.

Au pied de la Giralda se trouve le patio de los Naranjos, vaste cour plantée d’orangers plusieurs fois séculaires, et au milieu de laquelle on voit encore une fontaine arabe contemporaine de l’ancienne mosquée sur l’emplacement de laquelle a été élevée la cathédrale. Le patio de los Naranjos est entouré de constructions arabes dont quelques parties ont été modifiées à l’époque de la Renaissance ; les portes sont encore ornées d’énormes aldabones (heurtoirs) de bronze qui datent au moins du treizième siècle. Non loin de là est la Lonja (Bourse), bâtiment assez majestueux fréquenté autrefois par les marchands de Séville, et qu’Andrea Navagero appelle il piu bel ridotto di Siviglia.

La cathédrale est entourée de quelques marches qu’on appelle las gradas, et sur lesquelles on a placé des colonnes de marbre provenant de l’ancienne Hispalis. On pénètre dans l’édifice par plusieurs portes, parmi lesquelles il faut citer la puerta del Perdon, ou du Pardon, qui a conservé ses chapas ou plaques de bronze du temps des Arabes ; la puerto del Lagarto, ou du Lézard, ainsi appelée à cause d’un crocodile de bois suspendu au-dessus de l’entrée, et qui remplace celui qui fut envoyé à Alonzo el Sabio par le soudan d’Égypte quand il lui demanda la main de sa fille, l’infante Doña Berenguela.

La cathédrale est la merveille de Séville et a probablement donné naissance au dicton si connu :

Quien no ha visto à Sevilla
No ha visto a maravilla.

« Qui n’a pas vu Séville, n’a jamais vu de merveille. »

Rien ne saurait donner une idée de l’impression qu’on éprouve en pénétrant dans l’immense nef de la cathédrale de Séville ; il n’existe pas au monde, que nous sachions, une église gothique aussi vaste, aussi grandiose, aussi imposante. L’annaliste Zuñiga raconte que, lorsqu’en 1401 la construction du monument fut arrêtée, on convint d’élever un monument tellement beau, qu’il n’eût pas son pareil ; un des chanoines s’écria, en plein chapitre :

« Fagamos una Iglesia tan grande, que los que la vieren acabada nos tengan por locos ! »

« Faisons une église assez grande pour que ceux qui la verront achevée nous tiennent pour fous ! »

Vous n’étiez pas des fous, bons chanoines de Séville, mais des sages, car vous avez doté votre pays d’une des plus merveilleuses églises qu’on puisse voir !

La cathédrale de Séville est divisée en cinq nefs, dont la hauteur prodigieuse donne le vertige ; les piliers qui supportent la voûte, bien qu’en réalité d’un diamètre énorme, sont tellement élevés qu’ils font, au premier abord, l’effet de frêles colonnes ; le chœur, placé au milieu de la nef principale, a les dimensions d’une église ordinaire. Les accessoires même, par leurs proportions colossales, sont en harmonie avec le reste de l’édifice : ainsi le monumento, énorme temple de bois qu’on élève à l’intérieur pendant la semaine sainte, et qu’on illumine en y exposant le saint-sacrement, n’a pas moins de cent trente pieds de haut ; la fameuse custodia d’argent est probablement la plus grande pièce d’orfévrerie qui ait jamais été exécutée ; cette custodia est l’œuvre d’un des plus célèbres orfévres espagnols, Juan de Arfe y Villafañe, qui en a lui-même donné la description dans un curieux in-folio imprimé à Séville en 1589. Le cierge pascal, — cirio pascual, — qu’on prendrait pour une colonne de marbre blanc, a vingt-quatre pieds de haut et pèse, dit-on, plus de deux mille livres de cire.

N’oublions pas un saint Christophe colossal peint sur une des parois par un artiste italien du seizième siècle, que les Espagnols appellent Mateo Perez de Alesio ; le saint, dont la hauteur atteint trente-deux pieds, a pour bâton un arbre de grandeur ordinaire, et l’Enfant-Jésus qu’il porte sur son épaule a la taille d’un géant. Bien que cette peinture, achevée en 1584, ne soit pas sans mérite, il paraît que l’auteur faisait assez bon marché de son talent ; un artiste espagnol avait peint pour la cathédrale un tableau représentant Adam et Ève ; on rapporte que Perez de Alesio admirait tellement la jambe d’Adam, qu’il s’écria un jour :

« Vale più la tua gamba che tutto il mio Cristoforo ! »

« Ta jambe vaut mieux que tout mon saint Christophe ! »

De même qu’en Tyrol et que dans certaines parties de l’Allemagne, on voit assez souvent en Espagne la représentation de saint Christophe. Suivant une croyance populaire que rappelle un ancien distique en assez mauvais latin du moyen âge, on est assuré de ne pas mourir de male mort dans la journée où l’on a vu l’image du saint :

Christophori sancti speciem quicumque tuetur,
Ista nempe die non morte mala morietur.

Le tombeau du conquérant de Séville, saint Ferdinand, est placé dans la Capilla Mayor ; nous eûmes la permission de voir son corps, renfermé dans un cercueil d’argent ; on lit à côté l’épitaphe du saint roi ; elle est en quatre langues et fut composée, dit-on, par Alphonse le Savant, son fils. On nous fit voir aussi, dans la même chapelle, le tombeau de la célèbre Maria Padilla, la maîtresse de Pierre le Cruel.

La Sala Capitular et la Sacristia Mayor renferment quelques bons tableaux de Murillo ; nous y remarquâmes aussi quelques objets d’art du moyen âge et de la Renaissance, dignes d’exciter l’envie des collectionneurs les plus difficiles.

Outre un bon nombre de remarquables tableaux de l’école espagnole, la cathédrale possède le fameux saint