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ainsi des affaires transitoires d’ici-bas. Il fallait suivre cette enquête avec toute sorte de précautions, et la prudence la plus vulgaire m’interdisait d’y procéder par voie de questions directes. Heureusement pour moi, cependant, les Turkomans, dont la vie se passe, déduction faite du temps consacré à leurs maraudes, dans l’oisiveté la plus absolue, se laissent facilement aller à perdre des heures entières en débats prolongés sur tout incident qui intéresse l’existence nationale, et je n’avais alors pour m’instruire qu’à les écouter en silence. Assis au milieu d’eux et comme perdu dans mes rêveries, j’ai souvent eu l’occasion, tout en égrenant mon chapelet, d’étudier ainsi l’histoire de leurs razzias (alaman), de leurs relations avec Vilayet (la Perse), le Khan de Khiva, et les autres peuples nomades[1].


Intérieur d’une tente turkomane (voy. page 48). — Dessin de Émile Bayard d’après Vambéry.

Je profitai de cet intervalle de repos pour me faire conduire par Kizil Akhond, d’abord chez les Atabeg, tribu des Yomuts qui réside beaucoup plus à l’est, et aussi chez les Turkomans appelés Goklen, excursion très-intéressante pour moi, car elle me fournit l’occasion d’examiner une bonne portion de la muraille bâtie par Alexandre, quand il voulut opposer une barrière aux redoutables incursions des cavaliers du Désert. Nous marchions dans la direction de l’est, mais il nous fallut faire de longs et fréquents détours, afin d’éviter des marécages couverts de roseaux, et nous tenir à l’abri des sangliers sauvages qui infestent par centaines ces lieux inhabités. Les marais dont je parle proviennent de la Görghen, que gonflent les pluies de printemps et qui déborde sur une étendue de plusieurs milles son lit envahi par elles. Il devait en être ainsi dans un temps déjà loin parlé fut élevée, en arrière de la rive septentrionale, à une distance qui varie entre quatre et six milles anglais, et comme elle suivait autant que possible les points les plus élevés de la plaine, c’est encore le long de ces murs, aujourd’hui ruines, que passe la route la moins exposée en toute saison. C’est dans le même voisinage, et sans doute par le même motif, que nous trouvions la grande majorité des tentes ; il ne nous arrivait guère de marcher une heure de suite sans en rencontrer un groupe plus ou moins considérable. Je n’ai pas poussé jusqu’à l’extrémité occidentale de ces antiques fortifications et ne me sens aucunement disposé, dès lors, à tenir pour le moins du monde fondées les traditions fabuleuses dont on me régalait en leur honneur. Je crois, en revanche, avoir constaté que du côté de l’est, la muraille commence sur deux points différents ; le premier au nord-est de Gömüshtepe, où un amas de ruines plus considérable que les autres indique, sur la plage même, le début de l’énorme boulevard ; le second à vingt milles anglais environ, au midi de la rivière Etrek, également dans le voisinage de la mer. Ces deux sections se réunissent un peu au-dessus de l’Altin Tokmak. Quant à celle qui part de Gömüshtepe, j’ai pu la suivre, deux jours durant, sur un parcours de dix milles géographi-

  1. Les Turkomans se donnent le nom de Turkmen ou Turcs par excellence. Ils occupent principalement l’espace de terre, généralement inculte, qui s’étend au delà du fleuve Oxus, depuis les rivages de la mer Caspienne jusqu’à Belkh, et au sud du même fleuve jusqu’à Hérat et à Straband. Les Turkomans e divisent en huit khalks (ou peuples) dont voici les noms. Tchandor, Ersari, Alidi, Kara, Salor, Sarik, Tekke, Göklen et Yomut.