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une eau dont ma soif pourrait s’accommoder, et je me hâtai si bien que j’arrivai le premier à l’endroit indiqué. Ce que j’aperçus d’abord ressemblait à une mare brune ; j’y trempai mes mains que je crus avoir remplies de glace ; je portai le liquide à mes lèvres, et ce fut alors un vrai martyre, tant cette eau si fraîche était amère, infecte et rebutante ; impossible d’en avaler une seule goutte, et je sentis que le désespoir s’emparait de moi. Pour la première fois, je doutai du succès de mon entreprise.


VII

Gazelles et ânes sauvages du Kaflankir. — L’ancien lit de l’Ooxus. — Le Teyemmün. — Un cavalier Ozbeg. — Les Yomuts. — Chez Ilias.

Le tonnerre que, depuis plusieurs heures, nous entendions dans l’éloignement, ne se rapprocha de nous que vers minuit et ne nous apporta guère que quelques larges gouttes de pluie ; cependant il nous présageait le terme de nos souffrances. Parvenus dans la matinée du 24 mai à l’extrême limite des sables où nous nous étions péniblement traînés pendant trois fois vingt-quatre heures, nous étions maintenant assurés de rencontrer de l’eau pluviale partout où existerait un sous-sol argileux.

Nous arrivâmes à midi sur les bords d’un lac ; plus tard, complétant cette première découverte, nous reconnûmes l’existence de plusieurs autres creux de terrain remplis de l’eau la plus pure. Je fus rendu des premiers au bord du principal réservoir, avec mon outre et tout ce que j’avais de vases, moins pressé de boire que de me munir d’eau avant que la foule ne l’eût troublée et réduite à l’état de fange. Une demi-heure plus tard chacun déjeunait avec un entrain, une joie enthousiastes dont il me serait difficile de donner une idée.


Le sang du meurtre est sur sa tête ! (Voy. p. 71.) — D’après Vambéry.

À partir de cette station, nommée Deli Ata, nos outres, jusques à Khiva, demeurèrent constamment pleines, et la traversée du Désert fut dès lors, je ne dirai pas agréable, mais libre de ses principaux inconvénients. Vers le soir, nous parvînmes sur un point où le printemps régnait dans toute sa gloire. Établis au milieu d’innombrables étangs, que rattachaient l’un à l’autre ce qu’on appellerait volontiers des guirlandes de prairies, nous pouvions nous croire les jouets d’un rêve en nous rappelant où nous avions campé la veille.

Ce soir-là même, nous arrivâmes à une énorme tranchée, ou barranca, que jamais nous ne pensions atteindre assez tôt. Par delà se trouve le plateau qu’on appelle Kaflankir (Champ du tigre) ; il marque le commencement des territoires appartenant au khanat de Khiva.

La montée du plateau, longue de trois cents pieds, fut une rude besogne pour nous tous, bêtes et gens. Ses approches du côté du Nord sont, à ce qu’on m’apprit, aussi escarpées, aussi difficiles. L’ensemble offre un spectacle extraordinaire ; aussi loin que puisse aller le regard, la terre où nous voici parvenus est comme une île émergeant au sein d’une mer de sable. On ne voit aboutir ni la profonde tranchée que nous venons de traverser, ni celle qui existe au nord-est ; toutes deux, si nous devons en croire nos Turkomans, sont d’anciennes branches de l’Oxus, et le Kaflankir lui-même était primitivement une île entourée par ces larges canaux. Il est du moins certain que l’ensemble du district tranche sur le reste du désert aussi bien par son sol et sa végétation,