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ce Côme de Médicis, qui couvait des yeux sa proie, et s’apprêtait à recueillir les bénéfices de la lutte des deux rivaux. En attendant, le 11 août de la même année, les Français occupaient Sienne, qui devenait leur citadelle dans l’Italie centrale.

Le 1er janvier 1554 arrivait dans la ville, envoyé par Henri II, Piero Strozzi, vaillant soldat et chef de l’émigration florentine, suivi d’un grand nombre de ses compagnons d’exil, qui venaient combattre pour Florence sous les murs de Sienne[1]. Côme de Médicis, qui ne voyait pas sans terreur ce dangereux voisinage, rassembla ses gens dans le plus grand secret, et la nuit du 28 janvier tenta de surprendre la ville. Le marquis de Marignan, qui conduisait cette entreprise nocturne, put s’emparer d’un fort détaché qui défendait la porta Camollia.

Dès lors commence une guerre qui dura quinze mois et qui clôt si héroïquement l’histoire de la ville. On dirait que dans ces derniers et terribles jours de la république agonisante revivent toute la valeur et la persévérance des anciens Siennois.

Après quelques heureuses rencontres, la bataille de Scannagallo (2 août 1554), perdue par Piero Strozzi, malgré sa valeur désespérée, porta la guerre sous les murs de la ville. La famine vint accroître les misères des assiégés et les forcer à se rendre le 17 avril 1555.

La conduite des Siennois durant le siége fut admirable ; jamais on ne supporta avec plus de constance une si affreuse misère. Sans parler des cruautés commises par ce monstre qu’on appelait le marquis de Marignan, il nous suffira de dire que la population de la ville, qui comptait trente mille âmes au commencement de la guerre, au bout de quinze mois était réduite à dix mille ; tout le reste était mort de faim ou sur les remparts. Les campagnes, dans lesquelles la famine avait emporté plus de cinquante mille personnes, restèrent longtemps dépeuplées et incultes.

Une clause de la reddition garantissait la conservation du gouvernement populaire ; il n’est pas nécessaire d’ajouter qu’on n’en fit rien. Aussitôt après la capitulation, ceux des Siennois qui pouvaient encore combattre quittèrent la ville, et, emportant avec eux femmes, enfants et tout ce qu’ils avaient de plus cher au monde, ils allèrent relever le drapeau de la république sur les rochers de Montalcino. Là, ils frappèrent de la monnaie avec le nom de Sienne et d’Henri II ; et, seuls, isolés, résistèrent pendant encore quatre ans contre la puissance de l’empire et les embûches de Côme.

C’était la dernière étoile de notre ciel italien qui s’éloignait à son tour, après avoir brillé un instant d’une plus vive splendeur.

Cependant, le 3 juillet 1557, Philippe II, le Tibère de l’Espagne, inféodait Sienne au Tibère de Florence, Côme de Médicis.


III


Position et aspect général de la ville. — Murs et portes. — Population. — La cathédrale. — La cathédrale de 1339 et ses restes. — La facade. — Le pavé de Beccafumi. — La madone de 1260. — La madone de Duccio di Buoninsegna. — Le chœur. — Le maître-autel et le tabernacle du Vecchietta. — Francesco di Giorgio. — Le Carroccio des Florentins et le Christ de Monte-Aperti. — La chaire de Niccola Pisano. — La chapelle de Saint-Jean. — Sculptures de Tino di Camaino, de Donatello et de Michel-Ange. — La Libreria. — Les papes Piccolomini. — L’archevêque Piccolomini et Galilée.

Le chemin de fer de Florence à Sienne aboutit au pied d’une de ces délicieuses collines, qui, se détachant de celles du Chianti, courent du nord-ouest au sud-est.

En sortant du débarcadère le voyageur n’a qu’à lever les yeux vers les murs de Sienne, qui s’élève devant lui, en plusieurs plans étagés à une hauteur moyenne de trois cent seize mètres au-dessus du niveau de la mer.

Située dans le centre de la Toscane, au sud de Florence[2], sur une colline qui n’est dominée par aucune de celles qui l’environnent, Sienne domine de toutes parts un vaste paysage. Pour bien embrasser l’ensemble de ce beau panorama, il faut monter sur une des tours de la ville, sur celle du Mangia, par exemple (voyez cette tour dans le dessin à la page 21). — Quelle admirable vue que celle qui se déroule alors à une distance infinie ! Les collines et les vallées se pressent tout autour de la ville ; la vue s’étend librement au N. E. jusqu’aux monts du Chianti, si célèbre pour ses vins ; ces hauts pics dentelés qu’on distingue à l’horizon dans la direction du nord sont les montagnes du Modenais ; au nord-ouest s’élève Monte-Maggio, couvert de ses riches forêts ; la chaîne de collines sud-ouest s’appelle la Montagnola Senese ; la montagne qui se fait remarquer au sud par sa masse imposante et régulière est le Monte Amiata ou de Santa-Fiora, la plus haute[3] et surtout la plus riche des montagnes de la province, et qui donne, parmi bien d’autres produits, la célèbre terre d’ombre ou de Sienne, dont on livre annuellement au commerce environ trois cent mille kilogrammes.

Si nous jetons ensuite un regard sur la ville qui est à nos pieds (voy. le plan page 4), nous remarquons qu’elle se compose principalement de trois longues rues, courant sur la crête d’autant de collines, et aboutissant toutes au pied de la tour, à ce grand bassin de la Piazza del Campo, le point central de la ville.

Vue de cette hauteur, Sienne a la figure d’une étoile. La ville a été limitée par différentes circonvallations successives, suivant ses développements progressifs. Le périmètre immédiatement antérieur à celui d’aujourd’hui a dû être triangulaire, puisque dans une chronique de 1233, on dit qu’en cette année les Florentins investirent la ville des trois côtés.

Les murs actuels, qui datent de la première moitié du treizième siècle, montent sur la crête des collines pour descendre ensuite presque perpendiculairement

  1. Henri II leur avait donné vingt drapeaux verts, sur lesquels on lisait ce vers de Dante :

    Libertà, vo cercando ch’è si cara.

    « Nous cherchons la liberté qui est si chère. » Hélas ! ils ne devaient pas la trouver !

  2. À 28° 59’ de long. et 113° 19’ de lat. nord, mér. de Paris.
  3. 1 721 mètres au-dessus du niveau de la mer.