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Page:Le Tour du monde - 13.djvu/159

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le permettent. Cependant, nous l’avons quitté à deux reprises différentes avant d’arriver chez Sinamané ; la première fois pour aller visiter Kalounda, forteresse naturelle située à quelques milles au-dessous de la grande cataracte ; la seconde, pour aller voir une autre chute du Zambèse que l’on appelle Moômba ou Moamba.

D’après la description qu’on nous avait faite des cascades de Moamba, nous pouvions nous attendre à quelque chose de saisissant. On nous avait dit qu’il s’en élevait des colonnes de fumée, pendant la saison pluvieuse, comme aux grandes cataractes. Mais en regardant au fond de l’abîme, où le fleuve comprimé roulait ses eaux d’un vert sombre, les deux cascades que nous avons aperçues à quelque mille pieds de profondeur nous ont paru bien insignifiantes après celles de Mosi-oa-tounya.


Couleur de la peau. — Tête de crocodile exposée.

Si étrange que cela puisse paraître, il n’en est pas moins vrai que, chez toutes les peuplades que nous avons visitées, nous n’avons jamais vu une seule personne qui fût réellement noire. Partout c’est le brun qui domine ; il est de nuances différentes, et souvent d’une teinte de bronze à reflets brillants, que pas un peintre, si habile qu’il soit, ne paraît pouvoir saisir. La couleur foncée de la peau vient probablement en partie du soleil, en partie d’une propriété du climat ou du sol, qui jusqu’à présent nous est inconnue. Un fait analogue se produit chez la truite et chez d’autres poissons, dont la couleur se modifie suivant les cours d’eau ou les étangs

dans lesquels ils séjournent. Les blancs de notre petite caravane ont été beaucoup moins brunis, dans cette zone, par des années d’exposition au soleil, que nous ne l’avons été jadis, ainsi que notre famille, par le voyage de Kuruman au Cap dans un trajet de deux mois.

On ne sait pas encore ce qui, dans le climat, favorise le développement de la matière colorante de la peau et des cheveux ; mais la couleur n’est pas toujours un effet de la race, car on a vu, chez des personnes qui étaient restées longtemps dans un pays chaud, des cicatrices provenant de blessures ou des furoncles beaucoup plus foncées que le reste du corps. La chevelure des Africains, d’après les micrographes, n’est pas de la véritable laine ; elle est composée de poils de la même nature que les nôtres, avec cette différence que la quantité de pigment qu’elle renferme est bien plus considérable. Il n’est pas rare de trouver en Europe des cheveux plus noirs que ceux des Africains, et, par contre, de rencontrer en Afrique des individus à cheveux roussâtres et qui ont le tempérament nerveux sanguin des variétés de race jaune.

On voit peu de femmes agréables dans les villages batokas, situés près de la frontière ; toutes les jolies filles épousent des Makololos. Nous avons trouvé une de ces bourgades ornée d’une tête de crocodile, plantée au bout d’une perche. Le monstre avait pénétré dans l’enceinte où les femmes vont puiser de l’eau, et en avait saisi une. Bien vite accourus, les hommes avaient tué le crocodile, et mis sa tête au bout d’un pieu comme ils y mettaient jadis la tête d’un criminel ou celle d’un étranger.


Un congre. — Les forgerons. — L’îlot de Chilombé. — Mosenga-Makondi. — Multitude d’animaux aux bords du Zambèse.

1er octobre. Campés sur la rive du Kalomo.

L’un de nos hommes a tué, à coups de lance, un congre de quatre pieds sept pouces ; le cou a dix pouces et demi de tour : cette énorme anguille est appelée ici mokonga.

5 octobre. Après avoir franchi plusieurs côtes, nous nous arrêtons au village de Simariango. Les soufflets qu’emploient ici les forgerons diffèrent un peu des sacs de peau de chèvre que nous voyons ordinairement. Ils se composent de deux caisses en bois de forme circulaire et de petite dimension, dont la partie supérieure est couverte de cuir. Ils auraient l’air de tambours si la peau, au lieu d’être tendue, ne constituait au contraire un véritable sac. Le soufflet comprend deux de ces tambours, un tube est adapté à chacune des caisses, et l’air y est chassé par la pression du cuir que l’on fait mouvoir au moyen d’un bâton, placé au milieu de la poche. Le forgeron, que nous voyons travailler, nous dit que l’étain qu’on emploie dans ces parages, et dont on fait des bracelets, vient du pays des Marendis, peuplade qui demeure au nord. Jusqu’à présent nous n’avions jamais entendu dire qu’il y eût de l’étain dans le pays.

6 octobre. Arrivés à l’îlot de Chilombé qui appartient à Sinamané.


Ceinture de femme.

Nous voyons maintenant beaucoup d’hommes et de femmes d’un physique agréable. Le costume des femmes est absolument pareil à celui des Nubiennes de la haute Égypte : une frange de six à huit pouces de haut est attachée à la ceinture et formant jupon. Les matrones y ajoutent une peau taillée comme les pans de l’ancien frac des dragons anglais. Les jeunes filles portent un tablier, orné de coquillages, et qui n’a de franges que par devant.

12 octobre. Nous avons mis pied à terre et nous sommes allés déjeuner près d’une grande île qui renferme deux villages et se trouve en face de l’embouchure du Zoungoué. C’est là qu’il y a deux mois nous avons quitté le Zambèse.

Monté dans son propre canot, Mpendé est venu avec nous jusqu’à ce que nous ayons trouvé l’occasion d’acheter une belle pirogue. Nous avions donné pour celle-ci douze rangs de perles bleues à facettes pour collier, douze autres rangs de grosses perles bleues du volume d’une bille et deux yards de calicot écru. Au moment de conclure, le propriétaire nous dit que ses entrailles étaient émues au sujet du canot, et qu’il fallait ajouter quelque chose pour calmer leur émotion. Il n’y avait pas moyen de résister.