dans un contrat, enregistré à la chancellerie de la légation de France à Téhéran, que si je venais à être fait prisonnier, ma rançon serait à la charge du gouvernement : cette clause, comme on le verra plus loin, ne me préserva pas d’une longue et dure captivité.
I
LE VOYAGE.
Le 31 mars 1860 le dernier des détachements et des contingents des différentes provinces de la Perse qui devaient prendre part à l’expédition, partit de Téhéran pour Méched : il était composé d’un régiment d’infanterie, d’un escadron de Kurdes, d’un escadron de Baktiaris, de quelques cavaliers Schah-Sevend et d’une batterie d’artillerie.
Quatre jours après, je me mis en route. J’étais à cheval, suivi de cinq mulets qui portaient mon bagage, d’un muletier et de deux domestiques. On m’avait donné trois firmans : le premier pour le général en chef de l’expédition et l’intendant général ; le deuxième, pour le montewelli bachi (ou gardien du tombeau de l’iman Riza, à Méched[1]) ; le troisième, pour un aide de camp de S. M. le Shah.
Je sortis par la porte de Shab-Abdoulazim, et, après avoir laissé derrière moi Téhéran et ses environs, tristement parsemés de masures, de fours à chaux et de briqueteries, je me dirigeai vers le chemin du Khorassan qui conduit par une pente assez rapide, à une ramification de l’Elbourz.
Au pied de ces montagnes je m’arrêtai pour dessiner les ruines de Rey, pans de murailles qui couvrent une superficie de plusieurs lieues. Parmi leurs débris, s’élève le tombeau d’un roi mogol. On l’appelle la tour de Rey.
À quelque distance, et un peu plus près de la montagne on voit une autre tour de semblable apparence, qui, d’après son inscription coufique, remonterait aux premiers siècles de l’hégire ; elle est bâtie en pierres non taillées ; sur la partie supérieure qui est en briques, on lit l’inscription suivante : Au nom du Dieu puissant et miséricordieux, a ordonné de construire ce Cobet, Safel-Seid, fils de Farès ; que Dieu pardonne à lui, à son père et à sa mère[2].
Près de la route et sur le flanc de la même montagne à laquelle l’ancienne cité de Rey était adossée, on rencontre le cimetière guèbre.
Ce cimetière a la forme d’une grosse tour dont la circonférence est d’environ 50 à 60 mètres et la hauteur de 5 mètres. L’intérieur est disposé en cases maçonnées ; chacune d’elles a la dimension d’un homme et est garnie au fond de pierres brutes. Une de ces cases sert d’entrée dans les caveaux où sont déposés les ossements lorsqu’après une longue exposition du corps en plein air ils ont été dépouillés de toute leur chair. On laisse au mort un caleçon, une chemise, et une espèce de suaire qui lui enveloppe la tête comme un turban et lui couvre les épaules. On le hisse à l’aide d’une échelle et on le place dans une des cases, en ayant soin de le tourner vers le midi, les jambes croisées, les bras croisés sur la poitrine, la tête appuyée sur le bord de la fosse, et la figure découverte de façon que les oiseaux de proie puissent venir lui arracher les yeux. Après la cérémonie funèbre, les Guèbres referment cette porte, faite d’un seul bloc de pierre, la maçonnent en dedans et redescendent au moyen de cordes, fixées à une arête du haut de la muraille. Ceux qui ont apporté le mort, restent plusieurs jours le plus près possible du cimetière, sur une éminence, afin d’observer lequel des yeux sera enlevé le premier, car d’après une superstition peu digne de l’antique religion de Zoroastre, selon que tel œil a été arraché le premier, ils augurent que l’âme est allée ou non vers le séjour des bienheureux[3].
La hauteur de la tour ne protége pas toujours les corps d’injures fanatiques : il arrive souvent que des bergers ou des visiteurs musulmans lancent des pierres sur les cases du haut de la pente de la montagne qui surplombe.
Les cimetières des chrétiens ne sont pas, du reste, en Perse, à l’abri des profanations. Les musulmans tirent à la cible sur les croix, brisent et dispersent les pierres des tombes ; il répugne de signaler d’autres profanations encore plus odieuses ; le corps de M. Minutoli, ministre de Prusse, mort à Chiraz, a été déterré et jeté sur la voie publique, après avoir été dépouillé de son linceul. Je tiens ce fait de deux Européens, témoins oculaires. Les musulmans ont un grand respect pour les morts, mais seulement pour leurs coreligionnaires.
Du sommet de la montagne, la vue embrasse toute la plaine de Téhéran, bornée par les arêtes colossales de la grande chaîne de l’Elbourz, souvent couvertes de neige même en été.
La première station est au village de Catinabad, éloigné de cinq farsahks[4]. On dresse ma tente ; les accessoires de campagne sont déployés ; les chevaux et mulets sont attachés au piquet.
- ↑ Voyez tome IV, 1861, p. 269.
- ↑ Je dois la traduction de cette inscription au savant M. Reynaud, de l’Académie des inscriptions et belles-lettres.
- ↑ Voyez sur les Guèbres et les feux de Bakou (tome Ier, 1860,
8e livraison).
Les Parsis ou Guèbres, fidèles à la religion de Zoroastre, révèrent encore le soleil comme l’image la plus sublime du créateur. Le feu est pour eux le symbole de la divinité.
Ils sont nombreux dans l’Inde. À Bombay, leur cimetière est situé sur une colline qui domine la côte. Des hommes vêtus de robes blanches portent la bière couverte d’un linceul blanc : ceux qui les suivent, costumés de même, marchent deux par deux, chaque couple attaché par un mouchoir blanc. On expose le corps sur un petit mur d’appui. Quand les vautours ainsi que l’action du soleil et de l’atmosphère ont détruit toute la chair, on jette, de même que nous le dit M. de Blocqueville, les ossements dans un puits.
- ↑ Le farsahk est d’environ 6 000 mètres.