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laissé faire ; mais maintenant qu’il avait accompli la conquête de Naples et qu’il rentrait en France, il fallait bien contenter les Florentins, qui venaient réclamer l’exécution de sa promesse. Toutefois les Pisans jetaient les hauts cris pour ne pas être rendus aux Florentins, dont ils craignaient la vengeance. Pris entre deux feux, Charles, toujours faible, toujours incertain, et qui, d’après la confession de son historiographe lui-même, « ne fut jamais que petit homme de corps et d’entendement[1] », ne sut ni assurer et défendre la liberté de Pise, ni tenir la foi jurée à Florence. Il rentra en France, laissant les deux villes s’entre-tuer dans une dernière guerre, vrai duel à mort, qui, commencé en 1496, ne finit qu’en juin 1509 par la reddition de Pise.

Escalier du palais Grottanelli. — Dessin de H. Catenacci d’après une photographie.

Sienne, déjà incurablement malade des discordes civiles qui devaient bientôt la perdre, ne laissa point partir le roi sans lui demander une garnison française destinée à tenir en respect le Monte dei Nove, l’une des nombreuses factions qui divisaient la république. Charles ne se fit pas trop prier pour prendre la ville sous sa protection, et y laissa des soldats sous le commandement du seigneur de Ligny, son cousin. Ligny fut élu capitaine par la république, avec une provision de vingt mille ducats et l’obligation de tenir dans la ville une garde de trois cents hommes. Mais peu après le parti des Nove ayant de nouveau saisi le pouvoir, chassa la garnison et congédia le représentant du roi de France.


VIII


Ce qui me resterait à dire… si j’avais encore de l’espace.

J’aurais voulu entretenir encore mes lecteurs de beaucoup de choses, et, par exemple, de la bibliothèque publique[2], riche de 50 000 volumes, dont 650 du premier siècle de l’imprimerie, et de 3 000 manuscrits ; Parmi les autographes on remarque ceux de sainte Catherine et de saint Bernardin de Sienne, des Socins, de Charles V, et de Charles IX, roi de France ; on y voit aussi des codes d’une grande beauté ; un livre grec des évangiles du dixième siècle, payé en 1359 plus de 3 000 florins d’or ; un antiphonaire avec des miniatures de Paolo dal Poggio de Florence, et le livre d’heures enluminé en 1494, par Littifredi Corbizi de Florence, pour la Compagnie de Sainte-Catherine de Fonte-Branda. M. le comte Scipione Borghesi, dont j’aurais beaucoup de bien à dire si je ne craignais d’effaroucher sa modestie, possède aussi une riche et importante collection de manuscrits[3], parmi lesquels on remarque le testament original de Boccace, dicté en latin en 1374.

Je ne peux non plus dire qu’un mot du collége Tolomei, et de l’institution des Sourds-Muets, fondée en 1825 par le P. Pendola, qui en conserve encore la direction. Les établissements charitables sont nombreux à Sienne ; et je regrette de ne pouvoir décrire le vaste et salubre hôpital, l’hospice pour les convalescents, récente création due à la charité d’un obscur enfant du peuple, et la maison des aliénés, qui sera bientôt l’une des meilleures d’Italie, grâce à la Compagnia dei Disciplinati, qui en est la patronne, et qui, suivant les conseils du directeur prof. Livi, va en accroître les bâtiments, moyennant une dépense qui s’élèvera à près d’un million.

Ce qui concerné les arts aurait mérité un plus large développement. Malheureusement, je dois me borner à rappeler en passant : le prof. Giusti, à qui revient en grande partie l’honneur d’avoir fait renaître l’art, essentiellement siennois, de la sculpture sur bois ; l’Académie des beaux-arts et sa galerie, remarquable par sa précieuse collection des primitifs[4] ; et l’atelier de M. Mussini, directeur de l’Académie, qui fait revivre dans ses toiles le sentiment religieux, tendre, et profond, qui inspirait les anciens maîtres de cette noble école[5].

  1. Philippe de Comines, l. 8, c. XIII.
  2. Sienne doit à un moine de Prato la fondation de sa bibliothèque. Ce fut en 1663 que Niccolo Oliva, général des Augustins, mit à la disposition du public les livres de son couvent de Sant’Agostino.
  3. Plus de 3 000 parchemins, dont le plus ancien remonte à l’an 940.
  4. Série chronologique de tableaux qui résume l’histoire de l’école siennoise.
  5. M. Mussini a été nommé, le 10 décembre 1857, membre correspondant de l’Académíe des beaux-arts de l’Institut de France.