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Depuis que la grande lutte de l’empire et de l’Église eut divisé l’Italie, Sienne fut presque toujours impériale, et gibeline. C’est pourtant de cette même ville que sont parties les doctrines sur lesquelles s’appuyait l’autorité des papes. Graziano, le compilateur du fameux Décret, le véritable fondateur du droit canon que l’Europe a subi si longtemps comme loi civile et politique, était un moine de Chiusi. Grégoire VII, ce terrible vieillard qui a été l’incarnation vivante de toutes les prétentions de la papauté, est né aussi dans le comté de Sienne. Et c’est encore une famille siennoise qui s’honore d’avoir donné à l’Église Alexandre III (Roland Bandinelli), le chef de cette ligue lombarde qui, après dix ans d’une lutte héroïque contre l’empire, battit et humilia Frédéric Barberousse.

Et cependant Sienne, non contente de demeurer étrangère au grand mouvement guelfe, le combattit passionnément, à outrance. On pourrait même soutenir que Sienne n’a vécu qu’autant qu’elle est restée gibeline ; en effet, une fois la suprématie des guelfes établie, toute influence de cette ville sur les destinées de la Toscane vient à cesser, et l’activité des Siennois s’épuise dans les luttes intestines.

Arrêtons-nous donc un instant sur cette période gibeline, qui est la plus splendide et la plus émouvante de l’histoire de Sienne.

Plan de sienne.

Dans la bonne comme dans la mauvaise fortune, les Siennois gardèrent toujours leur foi à Frédéric II, à cet empereur d’Allemagne qui, né et élevé en Italie, portait sous le doux ciel de la Sicile le siége et les prétentions de l’empire, promettant ainsi de le faire italien. Frédéric, qui dans ses constitutions se donnait le nom d’Italicus, rêvait la restauration de l’empire romain dans l’unité italienne ; si, plutôt que dans le treizième, il eût vécu dans le seizième siècle, il aurait peut-être réussi ; malheureusement il devançait son temps, et l’idée de la liberté municipale prévalait alors sur l’idée de l’unité.

Lorsque, après trente ans de lutte, cet homme extraordinaire mourut découragé à Ferentino, Florence la première, puis toute la Toscane s’étant dérobées à l’obéissance de l’empire, tes Siennois se trouvèrent seuls avec Pise à soutenir l’effort des guelfes victorieux. Aussi lorsque, en juillet 1258, les Uberti, chefs des gibelins, furent chassés de Florence par le peuple, ils se réfugièrent avec les autres fuorusciti à Sienne, qui devenait de la sorte la citadelle de leur parti. Ce fut assez pour rallumer la guerre entre les deux républiques, qui représentaient les deux principes ennemis.

Dans cette ville, qui s’apprête à soutenir le choc de tout le parti guelfe, nous rencontrons côte à côte deux grands noms qui sont encore populaires chez nous et que Dante a tous les deux immortalisés dans son poëme[1], Provenzano Salvani et Farinata degli Uberti. Le premier était et fut toute sa vie ce que Farinata avait été jusque-là à Florence, le drapeau vivant de sa ville. Simple citoyen, il était cependant le chef reconnu des Siennois dans les conseils comme dans les combats.

Provenzano et Farinata durent aviser au moyen de soutenir cette lutte inégale ; ils eurent donc recours à Mainfroi, fils de Frédéric et roi de Naples. Mainfroi leur écrit, le 11 août 1259, une lettre qu’on conserve encore[2], en leur annonçant l’envoi d’une armée capable de relever la fortune des gibelins. Mais de fait il n’envoya que cent cavaliers allemands, qui arrivèrent dans la ville en décembre. Ce renfort mesquin ressemblait beaucoup à une dérision, et décourageait les plus timides ; mais Farinata, qui avait pris son

  1. Inf. c. X, et Purgat. c. XI.
  2. Dans les archives diplomatiques de Sienne : Correspondance avec les États étrangers.