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REVUE GÉOGRAPHIQUE,


1866


(PREMIER SEMESTRE)


PAR M. VIVIEN DE SAINT-MARTIN.


TEXTE INÉDIT.




Expédition du baron de Decken aux montagnes neigeuses de l’Afrique orientale. Le Djob et le pays des Somâl. Le sultan de Berdéra. Catastrophe. — Le voyage de du Chaillu dans la région intérieure au sud-est du Gabonn. Itinéraire. Accident. Retour. — Un nouvel explorateur de l’Afrique équatoriale. M. Le Saint. Projets. Avenir. — Gerhard Rohlf chez les Touâreg et dans le Fezzan. Les Tibboû et le Ouadâi. — Course en Palestine. Les récentes explorations, leurs résultats et leur importance. L’expédition de M. le duc de Luynes et les travaux géodesiques de la Commission anglaise. — La dépression de la mer Morte au-dessous de la Méditerranée. Historique. Chiffre définitif. — Explorations prochaines ou actuelles ; La Cochinchine. Le Mexique. L’Amazone. — Prochaines publications. Palgrave. Baker. Livingstone. Le Dr Bastian. — Nécrologie. Mac Donal Stuart. Henri. Barth.


I


C’est l’Afrique qui nous envoie nos premières nouvelles, et ce sont de tristes nouvelles : un insuccès et un désastre. Au milieu des progrès inouïs que font depuis quinze ans les découvertes africaines, il faut s’attendre à ce que de temps à autre quelque fâcheux épisode vienne jeter son ombre sur le tableau, comme pour nous mieux rappeler à quel prix s’obtiennent de semblables conquêtes.

Nos lecteurs savent avec quelle persévérance un riche Hanovrien, M. le baron de Decken, a poursuivi depuis 1860 la mission qu’il s’était donnée, de continuer l’exploration de l’Afrique orientale au sud de l’équateur. Ses deux voyages au Kilimandjaro, en 1860 et 1862, confirmèrent pleinement les découvertes contestées des deux missionnaires anglicans Krapf et Rebmann, qui annoncèrent les premiers, en 1848 et 1849, l’existence de grandes montagnes neigeuses à deux ou trois cents milles de la côte, entre le 1er et le 4e degré de latitude S. Situé à égale distance à peu près entre la côte du Zanguebar et le lac Victoria-Nyanza reconnu par Speke dans ses deux voyages de 1858 et de 1860, le massif que couronne le pic volcanique du Kilimandjaro, et, un peu plus au nord, celui de Kénia (le mot signifie la montagne Blanche), a une très-grande importance au point de vue physique aussi bien qu’au point de vue géographique ; et nous pouvons ajouter au point de vue historique, car il n’est guère douteux que cette chaîne côtière ne représente la célèbre montagne de la Lune d’où Ptolémée fait sortir les premiers cours d’eau qui alimentent la tête du Nil.

Dans ses deux visites de 1860 et 1862, M. de Decken n’avait vu que le Kilimandjaro, et il n’avait pu en compléter l’exploration autant qu’il eût été désirable. Outre que l’abandon de ses guides ne lui avait pas permis d’en achever l’ascension, il n’avait pas reconnu la pente occidentale du massif, celle qui sûrement verse ses eaux au Victoria-Nyanza. Combler ces dernières lacunes et remonter jusqu’au Kénia était une double tâche que le voyageur voulait remplir. Il pensa que la voie lui en serait plus facile s’il pouvait arriver aux grandes montagnes par quelqu’une des rivières qu’elles envoient à la côte.

Dans cette persuasion il revint en Europe, et fit construire deux petits steamers propres à remonter les rivières de la côte, le Passe-Partout et le Welf. Ce dernier, le plus fort des deux, était un bateau de 38 mètres de longueur sur 5 mètres de largeur, pourvu d’une machine de la force de quarante-cinq chevaux.

À la fin de 1864 M. de Decken était de retour à Zanzibar, prêt à tenter l’exploration des cours d’eau qui débouchent à la mer à quelque distance au nord de Mombaz (la petite place maritime de Mombaz est par 4° 4′ de latitude australe, à deux degré au nord de Zanzibar), entre le 2e et le 4e degrés au sud de l’équateur. Le plan du voyageur était de remonter aussi loin que possible une de ces rivières, puis de poursuivre le voyage à pied jusqu’aux montagnes. Une première tentative fut dirigée au commencement de 1865 sur la Sabaki, la plus rapprochée de ces rivières ; cette tentative, à ce qu’il paraît, ne réussit pas, non plus que celle qui fut faite immédiatement après sur l’Osi, peu éloignée de la première. Les détails manquent, au reste, sur ces deux premières excursions ; car par un assez singulier contraste avec le zèle dont l’infortuné voyageur a donné tant de preuves, il y avait chez lui, par une cause ou par une autre, très-peu d’empressement pour la publicité. Sans doute il voulait frapper tout d’une fois un grand coup ; mais en de telles entreprises, où l’explorateur est à la merci de tant d’accidents imprévus, c’est un fâcheux calcul de réserver pour l’avenir ce qu’on pourrait donner immédiatement à la science. Que de trésors seraient à jamais perdus, si le même calcul avait retenu