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M. Achille Poussielgue[1]. De tels livres sont de ceux qui marquent dans la science, et qui font époque dans l’histoire de l’exploration du Globe.


VIII


Ainsi marche sans se lasser jamais la cohorte dévouée des explorateurs. Jamais de vide dans leurs rangs, jamais de ralentissement dans leurs efforts ni d’interruption dans leurs travaux. Ceux que les dangers menacent puisent dans le péril même une ardeur nouvelle ; ceux qui sont frappés ont déjà leurs successeurs. Et Dieu sait pourtant si la mort se lasse ! Les uns, comme Vogel, comme Beurmann, comme le baron de Decken, succombent au milieu de leur entreprise inachevée ; d’autres, arrivés au but, tombent épuisés à l’heure même du triomphe. C’est ainsi que Mac Doual Stuart, le pionnier intrépide qui a réussi le premier, il y a quatre ans, à force de volonté et de persévérance, à traverser d’une mer à l’autre les redoutables solitudes de l’Australie centrale, vient, jeune encore, de mourir en Angleterre ; c’est ainsi qu’Henri Barth, l’illustre explorateur de l’Afrique centrale, est mort à Berlin le 25 novembre dernier en pleine vigueur d’âge, atteint par un de ces coups foudroyants qui frappent sans avoir menacé.

Nous n’essayerons pas, après sept mois[2], de tracer une biographie du Dr Barth ; il est peu de nos lecteurs, sans doute, qui ne connaissent déjà cette vie si courte et si bien remplie[3] ; mais nous ne pouvons passer devant cette tombe sans saluer d’un dernier hommage et d’un dernier regret la mémoire d’un des hommes qui occuperont une des plus belles pages dans l’histoire géographique de notre époque, si pleine de grandes choses et de grands noms. Barth était un de ces voyageurs qu’on désespérerait de voir jamais remplacés, s’il y avait des pertes irréparables ; c’était, dans tous les cas, un de ces hommes complets qui n’apparaissent dans une carrière qu’à de rares intervalles. Aux qualités les plus élevées de l’explorateur il joignait les dons acquis du savant ; c’était un homme d’action et un homme d’étude. Il avait la volonté persévérante, la froide énergie, l’attention soutenue que rien ne peut détourner de son but ni de ses recherches ; et avec cela de rares aptitudes pour les idiomes barbares de l’Afrique, aptitudes que de fortes études de jeunesse et la complète intelligence de l’arabe avaient développées. Les cinq volumes de la relation substantielle qu’il a publiés de 1857 à 1858, n’avaient pas épuisé sa riche moisson d’observations ethnographiques. Il mettait la dernière main, lorsque la mort l’a surpris, à un travail étendu consacré aux langues du Soudan, envisagées dans leurs rapports intérieurs et dans leur relation avec le berber. Trois parties de cette œuvre remarquable ont déjà paru[4], et l’on assure que Barth a laissé pour le reste son manuscrit achevé. Il serait bien désirable aussi que l’on pût réunir en un volume les Petits Voyages que depuis son retour en Europe Barth avait pris l’habitude de faire chaque année dans quelque partie intéressante et peu connue de l’Asie musulmane et de la Turquie d’Europe. Ces courses sont elles-mêmes des matériaux d’une haute valeur pour la topographie, l’ethnographie et la géographie comparée.

VIVIEN DE SAINT-MARTIN.

10 juin 1866.


FIN DU TREIZIÈME VOLUME.
  1. La relation du voyage en Chine et en Mongolie de M. de Bourboulon, ministre de France, et de sa compagne dévouée, Mme de Bourboulon, dont les amis pleurent encore la fin prématurée, vient d’être réunie en un volume. Ce voyage est de ceux que les amis d’une instruction aimable veulent conserver sur leurs rayons, à côté des piquants récits du spirituel auteur de Seize mille lieues à travers l’Asie et l’Océanie, M. Henri Russell-Killough (2 volumes), livre que nous nous reprochons de ne pas avoir signalé autant qu’il le mérite à l’attention de nos lecteurs ; mais il aura bien su faire son chemin sans nous.
  2. Barth était atteint d’apoplexie foudroyante au moment même où nous achevions, sans avoir reçu encore la triste nouvelle, notre dernière Revue semestrielle du Tour du Monde. Barth était dans sa quarante-cinquième année.
  3. Nous en avons rappelé les circonstances principales dans la Nécrologie du dernier volume (4e année) de notre Année géographique.
  4. Collection of Vocabularies of Central-African languages, compiled and analyzed by H. Barth. Gotha, Perthes, 1862-63-66. grand-in 8o. Il y a un texte allemand et un texte anglais simultanés, pour accompagner les deux textes de la grande relation.