une ligne blanche ; il est possible même qu’il existe des fissures par lesquelles une portion de l’eau du Zambèse filtre au-dessous du rocher.
Si nous en jugeons par le peu d’altération qu’a subie la crête de la roche basaltique, l’époque de la rupture de cette roche ne serait pas très-ancienne, géologiquement parlant. Je regrette de ne pas pouvoir mesurer d’une manière positive sa largeur à l’endroit de la cataracte, afin que plus tard on puisse savoir si elle est demeurée stationnaire, ou de combien elle a varié. Son ouverture ne semble pas aujourd’hui excéder la longueur d’un palmier ; si elle s’élargissait graduellement, ce serait la preuve d’un drainage plus actif des plaines de cette région, que l’on pourrait alors espérer de voir devenir plus salubre. Toujours est-il que l’Afrique a subi, à l’égard de ses lacs, des changements considérables, depuis une époque relativement peu éloignée.
Trois chefs batokas avaient choisi, pour offrir des prières et des sacrifices aux Barimos, l’île où je me trouve actuellement, et deux autres endroits dans le voisinage de la cascade. Ils se plaçaient pour prier en face du nuage qui s’élève du gouffre, et unissaient leurs invocations au rugissement de la cataracte. Ils devaient, en face de ce tableau saisissant, éprouver une émotion profonde, et c’est peut-être l’effroi religieux qu’ils ressentaient à la vue de ce spectacle sublime, qui leur avait fait choisir cet endroit pour y élever leurs autels. Le fleuve a lui-même pour les habitants de cette contrée quelque chose de mystérieux.
« Nul ne sait d’où il vient, nul ne sait où il va, » dit la chanson des rameurs en parlant du Zambèse.
En revenant à Kalai, nous avons aperçu la hutte où des ballots de marchandises et de vivres que m’avait envoyés M. Moffat par l’entremise de Mosilikatsé, son terrible ami, avaient été déposés ; elle est placée sous un groupe de palmiers ; et Sékélétou m’assura que personne n’aurait jamais voulu toucher à ces paquets, alors même que je serais mort dans mon voyage, tant la crainte qu’ils avaient inspirée était grande. Les sorciers avaient été si positifs dans leurs déclarations, que les porteurs, en soulevant l’une des caisses, crurent de bonne foi y sentir remuer un chevreau. Quel échec pour les devins, qui avaient de plus affirmé que nous avions tous péri avant de gagner Loanda ! Décidément je leur portais malheur.
VI
13 décembre. — Le pays est sillonné de vallées profondes de la plus grande beauté ; les roches sous-jacentes, de formation plutonique, ont produit un sol excessivement fertile ; la grosse bête y abonde, et pendant le jour des troupes de buffles couvrent les clairières et souvent les hauteurs.
Nous sommes entrés dans la plus belle vallée qu’il soit possible de voir, et où abondait le gros gibier. Apercevant un buffle couché dans l’herbe, je « me dirigeai vers lui dans l’espérance de nous procurer de la viande, et il reçut trois de mes balles ; comme il se retournait pour nous charger, nous courûmes vers des roches qui pouvaient nous offrir un abri. Avant que nous y fussions arrivés, trois éléphants, probablement attirés par le bruit qu’ils avaient entendu, nous coupèrent la retraite, puis se détournèrent brusquement et nous permirent de gagner les roches. Le buffle, pendant ce temps-là, s’éloignait d’une allure fringante ; pour n’être pas complétement frustrés dans notre espoir, j’envoyai de très-loin une balle au dernier des éléphants, qui, à la grande joie de mes hommes, eut l’une des jambes de devant brisée. Les plus jeunes de mes compagnons l’eurent bientôt contraint de s’arrêter, et un coup de feu dans la tête l’expédia immédiatement. La joie que manifestèrent mes hommes à la vue de cette abondance de viande me rendit très-heureux.
Ce matin, pendant qu’ils dépeçaient l’éléphant, un grand nombre de villageois vinrent prendre part à la fête et s’inviter au festin. Nous étions sur la pente d’une vallée délicieuse, parsemée d’arbres et arrosée dans tous les sens par de nombreux ruisseaux. Je m’étais éloigné du bruit pour examiner quelques roches formées de grès schisteux, quand je vis à l’extrémité de la vallée, c’est-à-dire et une distance d’environ deux milles, une éléphante et son petit ; elle était debout et s’éventait avec ses grandes oreilles, tandis que l’éléphanteau se roulait joyeusement dans la vase. À l’aide de ma longue vue, je distinguai une partie de mes compagnons qui, sur une longue file, arrivaient auprès des deux éléphants. Sékouébou, leur chef, qui était venu me retrouver, me raconta qu’ils étaient partis en disant : « Notre père verra aujourd’hui de quelle nature sont les hommes qui l’accompagnent. » Je montai alors sur le coteau pour suivre la chasse du regard et voir de quelle manière s’y prendraient les chasseurs. L’excellente bête ne se doutait pas de l’approche de l’ennemi, et se laissait téter par son petit, qui pouvait avoir deux ans. Tous les deux allèrent ensuite dans une fosse remplie de vase où ils se barbouillèrent de fange ; le petit folâtrait gaiement, il agitait ses oreilles et balançait sa trompe à la mode éléphantine ; sa mère, de son côté, remuait la queue et les oreilles pour exprimer sa joie. Tout à coup retentirent les sifflements de ses ennemis, dont les uns soufflaient dans un tube, les autres dans leurs mains jointes, et qui s’écrièrent pour éveiller l’attention de l’animal :
Ô chef ! nous sommes venus pour vous tuer ;
Ô chef ! ainsi que bien d’autres, vous allez mourir ;
Les dieux l’ont dit, etc., etc.
Les éléphants relevèrent les oreilles, écoutèrent ce bruit étrange et sortirent de la fosse au moment où leurs assaillants se précipitaient vers eux. Le jeune s’enfuit d’abord en droite ligne devant lui ; mais apercevant les chasseurs à l’extrémité de la vallée, il revint auprès de sa mère, qui se plaça entre lui et le danger, et lui passa mainte et mainte fois sa trompe sur le dos afin de le rassurer. Tout en s’éloignant, la pauvre mère s’arrêtait