Page:Le Tour du monde - 14.djvu/127

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d’un violet pourpre. Mis en possession de ces deux drogues végétales, je n’eus plus qu’un désir, celui de connaître la manière de s’en servir ; il paraît que ce désir, qui me semblait simple et très-naturel, était au contraire quelque chose d’énorme, car les Yahuas exigèrent du révérend un supplément de huit hameçons pour se mettre à l’œuvre, travailler sous nos yeux et nous révéler les mystères de leur cuisine.

La danse du Bayenté chez les Yahuas.

L’un d’eux alla prendre un pot de terre de moyenne grandeur, vierge de tout service à ce qu’il me parut, et le remplit d’eau ; l’autre amoncela, autour de ce pot, force menus branchages qu’il alluma avec une poignée d’amadou de fourmis[1] ; dans cette eau, le premier, qui était le beau-père et mit seul la main à la pâte, laissant à son gendre le soin d’attiser le feu, le premier, dis-je, jeta les feuilles et le bois coupé en pastilles d’une branche pareille à celle qu’il m’avait apportée et dont les fruits étaient inutiles à l’opération. Quand l’ébullition commença, l’eau jaunit et prit bientôt une couleur de rouille. Après deux heures de cuisson, le Yahua retira du pot le marc ou détritus de feuilles et de bois, le jeta à l’écart, et, dans le liquide, racla jusqu’au liber la liane aux fleurs violacées ; le feu fut activé ; une écume épaisse se produisit à plusieurs reprises et fut enlevée par le Yahua avec une spatule en bois qui lui servait à remuer sa mixture.

Paul Marcoy.

(La suite à la prochaine livraison.)



  1. Ce qu’on appelle dans le pays, amadou de fourmis, Yesca de hormigas, est une matière visqueuse d’un blond roussâtre, sécrétée par une variété de ces hyménoptères. Ils en enduisent les branchages d’un arbre à quelques mètres d’élévation du sol, les relient entre eux, en remplissent les vides et parviennent à y former l’énorme boule qui constitue leur nid ou fourmilière. Cette matière, à peine en contact avec l’air, devient sèche, molle, spongieuse et brûle sans s’éteindre comme de véritable amadou.