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en main une sarbacane. Un carquois et une petite calebasse pleine de soie de bombax pour empenner les flèches, résonnaient sur leur dos.

L’expression de leur physionomie que j’étudiai, était débonnaire et grotesque et provoquait le rire plutôt qu’elle n’inspirait la frayeur. J’y cherchai vainement ce cachet féroce et sournois qui caractérise, dit-on, tous les mangeurs de chair humaine. Si ces Mayorunas mangeaient leur prochain, ce ne devait être que du bout des dents, avec toutes sortes de façons et de mièvreries et comme une petite-maîtresse peut sucer un blanc de volaille.

Une hache qu’ils venaient emprunter aux Marahuas pour abattre un pan de forêt et y planter plus tard des bananiers et du manioc, était le prétexte de leur visite. Ils restèrent à peine une demi-heure avec nous ; mais je mis ce laps de temps à profit, et lorsqu’ils s’en allèrent, je possédais un spécimen de leur physionomie et de celle de leurs amis et alliés de Mahucayaté.

Taillés sur le patron des Mayorunas, à la nation desquels ils appartiennent, les Marahuas en diffèrent néanmoins par les ornements extérieurs dont ils ont fait choix. C’est d’ailleurs une vieille coutume chez les Peaux-Rouges, en se séparant de la nation mère, d’adopter un costume et des peinturlures autres que les siens. Ainsi les Marahuas, au lieu de se raser la tête et d’émailler leur visage d’hiéroglyphes noirs, de pièces d’argent et de plumes d’ara, se contentent de laisser flotter leurs cheveux et de garnir les côtés de leur bouche, troués à cet effet comme une écumoire, d’épines de palmier de six pouces de long. Le tigre est un animal dont ils admirent la force, l’audace et la ruse, et leur idée fixe est de lui ressembler au physique comme au moral. De là ces épines qu’ils plantent autour de leur bouche, pour simuler les moustaches mobiles dont la nature à doté le félin.

Pénitence imposée à deux jeunes filles.

Bien que le baptême qu’ils ont reçu et leur qualité de chrétiens leur imposent l’obligation de se vêtir d’une façon décente, ils préfèrent aller tout nus, comme aux beaux jours de leur histoire. Aux personnes scrupuleuses qui leur demandent la raison de cette manie déshonnête, ils répondent imperturbablement que la chemise en usage dans les Missions les gêne aux entournures et que le pantalon les scie.

La tribu des Marahuas, dont les habitants de Mahucayaté ne sont qu’une fraction infime, est disséminée le long des petits affluents de l’intérieur, sur les rives du Javary et même sur celles du Jurua. À en juger par l’étendue du pays qu’elle occupe, on pourrait la croire nombreuse, si nous ne nous hâtions de dire qu’elle compte au plus trois cents hommes. Il en est de même de la nation des Mayorunas, dont le territoire comprend trente lieues sur la rivière Ucayali, soixante-quinze sur l’Amazone et dont la population atteint à peine au chiffre de cinq cents individus.

Au sortir du village de Mahucayaté, nous côtoyâmes la rive droite et relevâmes tour à tour les annexes de la Mission de Pevas. La page que je leur avais consacrée et que je comptais bien remplir, resta blanche et vierge de notes. À Péruhuaté comme à Moromoroté, je ne vis que des maisons closes et des poules rousses ou noires qui picoraient dans les halliers.

À une lieue de Moromoroté, un canal alimenté par l’eau du fleuve, vint échancrer la berge. Nous y pénétrâmes, et après un moment de navigation nous débouchions avec son courant dans un lac d’eau noire où se déversent, jointes en un seul affluent, deux petites rivières venues de l’intérieur. Ce lac qui porte les noms espagnol et quechua de Caballo-Cocha (lac du cheval), étymologie pour nous inexpliquée autant qu’inexplicable, a cinq lieues de tour et forme un ovale assez régulier. Sa nappe brune, cerclée de talus d’ocre jaune et de forêts