Page:Le Tour du monde - 14.djvu/189

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Hélas ! cette chasse ne fut pas longue ; à quelques pas je vis le djellab faire un mouvement de surprise et un nouveau signe à son complice ; je m’avançai du côté qu’il avait paru désigner, et je vis près d’un buisson la malheureuse fille. Elle était accroupie devant sa mère et paraissait lui prodiguer des soins urgents en rajustant une ligature ; elle ne paraissait pas même regarder le djellab, qui, suivi de son aide, s’avançait à pas sourds pour la saisir.

La mère, dont l’œil scrutateur sondait le voisinage, les vit la première, car elle fit un geste et prononça un mot, une exclamation qui voulait probablement dire à sa fille : fuis ! car la pauvre enfant fit en effet quelques pas de fuite ; mais, revenant plus vite encore vers sa mère, elle jeta un cri déchirant : c’était une prière, une prière à attendrir un cœur de pierre ! Elle tendit les mains du côté de ses ravisseurs avec une expression que rien ne saurait rendre pour les implorer ; puis, par la mimique si expressive de la douleur, s’adressant au djellab comme à un homme qui ne pouvait moins faire que d’être compatissant dans un tel cas, elle semblait dire : « Voyez, le soleil baisse, la nuit vient, les animaux carnassiers vont sortir de leurs repaires ; ils viendront de leurs dents meurtrières déchirer ma mère encore vivante ! ma mère qui ne peut fuir ni allumer un feu protecteur. Oh ! non, vous ne voudriez pas qu’elle soit abandonnée par moi ; mangée avant d’être morte ! Oh ! non, vous ne le voulez pas ! dites ? dites ?… »

Scène d’esclavage : La mère et la fille. — Dessin de Karl Girardet.

Le djellab, en voyant les choses prendre cette tournure, avait prudemment ralenti sa marche, et semblait compatir aux gestes suppliants de cette fille éplorée ; mais il avançait, il avançait toujours vers sa proie. La malheureuse fille, comprenant dès lors que tout était fini, changea de figure, ses yeux hagards se reportaient de sa mère à l’homme ; hélas ! oui, tout était fini. Pleine de désespoir, elle jeta un nouveau cri qui, cette fois, devait être le cri de guerre des nègres, car elle se baissa vers la terre, et saisit de ses mains crispées ce qui s’y trouvait à sa portée pour le jeter à la figure des monstres qui venaient la ravir à sa mère mourante ; mais son arme, hélas ! n’était qu’une poignée de poussière, qui lui revint aux yeux. Avait-elle cru troubler ainsi la vue du djellab tandis qu’elle prendrait la fuite ? Presque aussitôt elle fut vigoureusement saisie, renversée et entraînée, plutôt qu’emportée, à quelque distance de la mère. Celle-ci, ne pouvant les suivre, fit des soubresauts inutiles, puis se souleva sur un bras, gesticulant de l’autre, et faisant entendre quelque chose qui ressemblait plutôt à des hurlements entrecoupés de sanglots qu’à des paroles humaines.

Peu de temps après, la pauvre fugitive était garrottée