guilles de glace, et les mousses qui tapissent ses bords étaient couvertes de gelée blanche. Un courant d’air, comprimé dans les flancs de la lave, et accompagnant la sortie de l’eau avec une violence qui croît en raison de l’excès de la température du dehors sur la sienne, donne l’explication de ce phénomène que l’on peut reproduire artificiellement dans tous les cabinets de physique.
Pendant combien de temps, à combien de reprises cette petite source a-t-elle servi aux besoins des hommes et des troupeaux retirés dans le retranchement voisin ? À combien de larmes et de sang s’est-elle mêlée avant de retomber dans sa solitude native ? Nul ne peut le dire. L’appellation de Chazaloux attachée à cette localité ne répond à aucune étymologie ; celle de camp des Sarrasins que les pâtres des environs s’obstinent à lui donner également, est moins un certificat d’origine qu’une vague réminiscence, sans doute, de l’abri que ce repaire fortifié offrit aux riverains de la Sioule lors de l’invasion des Arabes, dont les coursiers, certes, n’ont pu piétiner la cheire de Côme. Je croirais volontiers que bien avant cette époque et depuis, dans les siècles qui s’écoulèrent entre l’insurrection des Bagaudes et les révoltes des paysans au quatorzième siècle, le vieux retranchement celtique a dû servir de refuge à plus d’une bande d’opprimés et d’outlaws ; de la même manière que, de mes premiers regards d’enfant, aux jours les plus sombres de notre histoire moderne, au lendemain de Waterloo, j’ai vu un camp dit de César, perdu au fond des bois de la Haute-Saône, abriter l’intraitable désespoir d’indomptés partisans et de généreux proscrits.
On ne peut savoir également à quelle époque le taillis de chênes qui ajoute déjà une ombre nouvelle à l’ombre que les siècles ont étendue sur cette vieille citadelle de nos premiers ancêtres, a commencé à germer dans son pavé de lave, dans le sol de ses cabanes et jusque dans les interstices de ses murailles ; mais on prévoit plus aisément l’époque où l’action continue des racines, l’élaboration des sucs végétaux et la décomposition annuelle des feuilles et des graminées, exerceront sur le tout un double travail de sape et d’enfouissement, et finiront par recouvrir les reliefs saillants et les lignes anguleuses du camp des Chazaloux d’un linceul de gazon, largement ondulé comme la surface d’un cimetière abandonné.
À défaut des générations humaines, toujours oublieuses, la nature a doté ce lieu d’un point de repère : près de l’entrée du fort qui regarde l’ouest, un grand sapin, le seul de toute la cheire de Côme, et dont quelque rafale des montagnes a apporté de loin la semence, élève sa flèche pyramidale et quasi funéraire. Je me suis arrêté sous sa robuste ramure, à contempler la scène étrangement sauvage qu’elle domine, et venant à rêver aux caprices de la renommée, distribuant un peu au hasard, aux monuments comme aux hommes, ses faveurs ou ses dédains, je m’y serais oublié plus longtemps encore sans l’anxiété de notre guide, qui à plusieurs reprises nous signalait l’imminence d’un orage formé dans les gorges du mont Dore et se précipitant le long du verdoyant bassin de la Sioule avec la rapidité d’un train lancé à toute vapeur. En effet, nous eûmes beau hâter le pas, la nuée ne tarda pas à nous atteindre et à nous envelopper dans une véritable avalanche d’eau, sillonnée de tonnerres et d’éclairs.
Rentrés à Pontgibaud dans l’état le plus piteux, nous n’avions rien de mieux à faire que d’aller nous sécher à la gueule brûlante des fonderies de plomb argentifère auxquelles la bourgade doit aujourd’hui son renom et sa prospérité.
Ces usines sont alimentées par des minerais extraits du gneiss et du mica-schiste, à cent ou cent quarante mètres de profondeur. Les principaux gisements se trouvent dans l’étroit défilé où coule la Sioule, près des hameaux de Pranal et de Barbecot, au pied du volcan de Chaluset. C’est là que sont installés les bocards et les ateliers de lavage. Cette exploitation, la première de ce genre que possède la France, après celle de Paullaouen, dans le Finistère, donne annuellement 8 000 tonnes métriques de galène, qui rendent à l’industrie 20 000 kilogrammes de plomb, 1 100 kilogrammes d’argent pur et 110 000 kilogrammes de litharge.
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Si l’on sort de Clermont par l’extrémité méridionale de la place de Jaude, le premier embranchement que projette à gauche la nouvelle route de Bordeaux, ne tarde pas à pénétrer dans un terrain bombé, dont les parois révèlent au premier abord le caractère volcanique. C’est en effet une coulée de lave, une des dernières, la dernière peut-être qui soit issue de l’officine immense qui a soulevé les Dômes. Vomie par le puy de Gravenoire, elle est de la nature de toutes les laves modernes de la Sicile et de Naples, bulbeuse, scoriacée, pleine de cendres et de pouzzolane. La main de l’homme, aidée du concours des eaux courantes et atmosphériques, a fini par la transformer en un sol maintenant couvert de vignobles et qui fait la fortune des populeuses communes de Beaumont et d’Aubières, en rivalisant de fertilité avec les pentes bien connues de l’Etna et du Vésuve.
Les sources abondantes qui, à quatre et cinq mille mètres de distance, à l’Oradou, à Montjoly comme à Royat, s’échappent des extrémités de cet immense torrent de matière ignée, semblent indiquer qu’il s’est épanché sur une puissante nappe d’eau. Mais la masse de liquide chargé de principes saccharins, alcooliques et taniques que distillent ses flancs par l’intermédiaire des ceps de vigne, paraît également inépuisable. C’est à ce point, qu’en temps de récoltes moyennes, les buveurs les plus altérés sont admis, m’assure-t-on, dans les celliers de Beaumont et d’Aubières, à raison de 20 centimes, non par litre, mais par heure de consommation !!! On me dit encore qu’en 1848 ces fils des vieux Gaulois n’employaient que du vin à l’arrosage des jeunes arbres de la liberté. Les malheureux ! ils ne se doutaient pas qu’ils en calcinaient les racines !