se rendent à la taverne et boivent des petits verres pour noyer leurs soucis ; on en voit même qui vagabondent pendant des semaines entières.
Algunas de ellas se vienen
A su casita derechas
Como muchachas honradas ;
Otras van á la taberna
A beberse sus vasitos
Para echar abajo penas,
Algunas se estan holgando
Hasta semanas enteras.
La cigarrera andalouse est un type qui très-souvent peut se confondre avec un autre type bien connu, celui de la maja ; c’est elle qu’on voit dans les foires et les pèlerinages, — ferias y romerias, — et dans les courses de taureaux, aux tendidos de sol y sombra, vêtue de la mantilla de tira à la bordure de velours noir, et de la robe aux couleurs éclatantes, bordée de plusieurs rangs de volants ; c’est elle qui chante, en s’adressant à son majo :
Soy purera, chachipé !
Que entre el tabaco naci,
Y para ser mas feliz
Por mi se muere un gaché
Es un jembro mu saláo
Y con faitigas le quiero,
Que es un moso con salero
Y con mucha caliá.
« Je suis purera, chachipé[1] ! Je suis née au milieu du tabac, et il est bien heureux, le gaché qui meurt pour moi : je l’aime avec ardeur ; car c’est un garçon et plein de qualités. »
À quoi le majo répond :
Quiero una mosa bonita,
Aunque no sea caballera !
Me gusta una cigarrera
Mas que ochenta señoritas ;
¿ En la tierra habrá mas brio
Que tienen las cigarreras ?
« Je soupire pour une jolie fille, et que m’importe qu’elle ne soit pas grande dame ! J’aime mieux une cigarrera que quatre-vingts señoritas : en est-il sur la terre qui aient autant de grâce que les cigarreras ? ›
La maja andalouse, si souvent chantée dans les sainetes et dans les romances populaires, est donc souvent cigarrera de profession. Quelquefois aussi, — sacrifions le pittoresque à la vérité, — la maja n’est qu’une vendeuse de poisson frit ou une castañera, qui fait rôtir des châtaignes à la porte d’une taverne, comme chez nous les enfants de l’Auvergne à la porte des marchands de vin ; il arrive encore, et c’est le cas le plus ordinaire, que la maja ne fait rien. Il est probable qu’avant peu ce type deviendra un mythe, grâce aux chemins de fer qui modifient peu à peu les mœurs et les costumes populaires : c’est ainsi qu’a disparu depuis longtemps la dernière des manolas, ces grisettes de Madrid.
Du reste, c’est aux jours de grande fête seulement que les majas qui subsistent encore se manifestent visiblement à l’œil des curieux ; ces jours-là, elles se transforment : ce sont des mugeres de chispa, des jembras de rumbo y de trueno, expressions qui ne sauraient se traduire littéralement en français, mais qui, en espagnol, rendent merveilleusement la passion de ces femmes pour le plaisir et pour le bruit.
La maja, nous l’avons déjà dit, est passionnée pour les courses de taureaux : elle est très-heureuse quand elle peut s’y rendre en calesa découverte ; mais son bonheur n’a plus de bornes si elle rencontre sur la route quelques camarades allant à pied. La corrida est à peine commencée, qu’elle juge hardiment les coups, sifflant et applaudissant à outrance espadas, banderilleros et picadores ; jamais elle ne quitte sa place avant que le dernier taureau, el toro de gracia, ait reçu le coup de grâce du cachetero. Souvent elle sort accompagnée d’un torero, car la maja montre une prédilection marquée pour la gente de cuerno, comme les gens du peuple appellent plaisamment les toreros, qui vivent au milieu des bêtes à cornes. De la Plaza, on se rend à la botilleria, où le verre en main on discute les différents coups de la corrida ; et la soirée se termine par un jaleo ou un zapateado dans une de ces réunions populaires qu’on appelle bailes de candil.
La maja va quelquefois au théâtre, bien qu’elle n’ait pas pour ce divertissement la même passion que pour les combats de taureaux, où le drame se joue de veras, pour de bon : plusieurs fois dans la soirée, aux endroits les plus comiques, elle interrompt le spectacle par de bruyants éclats de rire, tous les acteurs lui paraissent excellents pourvu qu’ils soient très-forts, et il n’existe pas pour elle de meilleures pièces que celles où il y a des brigands et des coups de fusil.
Les majas, qui tiennent beaucoup aux anciennes coutumes nationales, parlent dans toute sa pureté le dialecte, ou pour mieux dire le patois andalous. Il est un grand nombre d’expressions propres à l’Andalousie qu’il serait à peu près impossible de traduire dans aucune langue : ainsi la sal, le sel, signifie à peu près la grâce ; un des plus jolis compliments qu’on puisse faire à une femme, c’est de l’appeler salero, salière, ou de lui dire qu’elle est salée, salada. La canela, la cannelle, est un mot qui s’applique également à une jolie femme, mais la sal de la canela ou la flor de la canela servent à exprimer le dernier degré de la perfection. L’expression zandunga, qui signifie le bon air, la désinvolture, s’applique également à une femme muy juncal, c’est-à-dire accomplie. Beaucoup de mots du même genre, qui ne se trouvent pas dans les dictionnaires espagnols, sont néanmoins employés à chaque instant par les gens du peuple, majos et majas, toreros, caleseros et autres.
L’accent des Andalous est extrêmement prononcé, et
- ↑ Chachipé est une affirmation énergique empruntée au langage des Gitanos ; le mot gaché, qui appartient également au caló, s’applique, comme nous l’avons déjà dit, aux Espagnols qui n’appartiennent pas à la race gitana.