tagnettes. — Hasta de las castañuelas ! s’écrie-t-il douloureusement. Et il avait raison, car nous avons sous les yeux un volume in-douze, imprimé en la imprenta real, dans l’imprimerie royale, en 1792, avec ce titre assez curieux : Crotalogia, ou science des castagnettes, instruction scientifique sur la manière de jouer des castagnettes en dansant le Bolero, et de pouvoir facilement et sans maître accompagner tous les pas qui font l’ornement de cette gracieuse danse espagnole, etc… Nous abrégeons le titre qui remplit à lui seul près d’une page. L’auteur de cet ouvrage didactique se nomme El Licenciado Francisco Agustin Florencio, et, le croirait-on ? son œuvre bien digne de passer à la postérité eut cinq éditions successives.
Il paraît que le succès de la Crotalogia empêchait de dormir un certain Juanito Lopez Polinario, car ce personnage attaqua le Licenciado dans une brochure intitulée Impugnacion literaria, etc. (Combat littéraire). Mais l’auteur qui nous paraît mériter la palme, c’est Don Alejandro Moya : cet écrivain, voyant les castagnettes injustement attaquées, les vengea noblement dans un livre qui porte le titre d’El triunfo de las castañuelas, O mi viage á Crotalopolis, c’est-à-dire, le Triomphe des castagnettes ou Mon voyage à Crotalopolis (la capitale des castagnettes).
Le licencié Florencio, dans sa préface, — et, soit dit en passant, il nous paraît vouloir se moquer tant soit peu de son lecteur, — commence par parler, à propos de castagnettes, de Christophe Colomb et de Galilée ; puis rentrant enfin dans son sujet, il témoigne le regret que personne, avant lui, n’ait seulement noirci quatre pages de papier sur cet intéressant sujet, et il exprime le désir que son livre soit aussi utile aux Petimetros et aux Petimetras (petits maîtres et petites maîtresses), qu’aux Manolos et aux Manolas, aux Majos et aux Majas, c’est-à-dire aux gens du peuple. Par malheur, ajoute-t-il, je n’oserai plus me montrer à la Puerta del Sol, dans la crainte d’entendre dire à chaque instant :
« Regardez : voici l’auteur de la Crolalogia !
-Ah ! c’est le professeur de castagnettes ! » etc.
L’auteur continue en exposant les règles qu’on doit suivre pour accorder son instrument favori avec le son de la guitare, et l’accommoder au rhythme du Bolero et du génie des Seguidillas ; puis il cite une joueuse de castagnettes célèbre, Copa Syrisca, chantée par Virgile, et qui était également habile dans l’art d’agiter son corps gracieux aux sons répétés des crotales. Enfin, après de longues dissertations, l’auteur annonce une manière nouvelle et complétement inédite de fabriquer des castagnettes de son invention, qui peuvent s’accorder sur le ton de la guitare, et former les accords de tierce, de quarte, de quinte, etc. La manière dont le licencié Florencio indique le rhythme de son instrument est assez originale : suivant lui, toute la science des castagnettes se résume en ces mots : Tirira-tira-tirira-tirira-ti-ta-ti-ta ; seulement, il recommande bien d’observer ce qu’il appelle les trois unités crotalogiques : à savoir l’unité d’action, l’unité de temps et l’unité de lieu.
N’oublions pas la distinction des castagnettes en mâles et femelles, machos y hembras ; naturellement le macho a la voix plus grave, et le son de la hembra est plus clair. Un bon joueur de castagnettes doit suivre exactement tous les mouvements du corps, des bras et des jambes ; c’est ce que l’auteur démontre en s’appuyant sur Aristote. Enfin, persuadé d’avance du succès que doivent obtenir son livre et son invention, il termine en priant ses lecteurs de danser à sa santé quatre seguidillas boleras.
Il est bien à regretter que le profond auteur de la Crotalogia n’ait pas daigné exercer sa plume savante sur un autre instrument, égal en ancienneté, et qui, s’il n’est pas l’accompagnement obligé de toutes les danses andalouses, en marque aussi agréablement la mesure : nous voulons parler du tambour de basque, appelé par les Espagnols el pandero ou la pandereta : c’est exactement le tympanum des anciens, tel qu’on le voit entre les mains d’un des personnages comiques représentés dans la mosaïque si connue du musée de Naples.
Comme le Tamburello, cher aux Minenti de Rome et aux jeunes filles napolitaines, la pandereta espagnole est ornée, sur le bois aussi bien que sur la peau, de peintures d’une grande naïveté, où les couleurs les plus brillantes sont employées sans le moindre ménagement ; ces peintures, dues à des Velazquez populaires, représentent ordinairement un Majo et une Maja en costume de rumba, dansant la Malagueña del torero, le Jaleo de Jerez, ou quelque autre pas andalous. Des nœuds de rubans, — moñas — viennent encore rehausser l’éclat général, et quelques lames rondes de métal, — sonajillas, — placées dans les intervalles du bois, ajoutent leur cliquetis strident au ronflement sourd que produit le doigt du virtuose en frôlant le parchemin bariolé.
Il n’y a pas de fête populaire, pas de réjouissances publiques, soit à la ville, soit dans les campagnes, où la pandereta ne signale bruyamment sa présence ; elle joue même son rôle dans certaines fêtes religieuses, comme la veille de Noël, par exemple, ou la veille de saint Jean, la velada de san Juan, que Séville célèbre avec une gaieté si expansive.
Parmi les plus habiles à faire résonner sous leurs doigts la pandereta, il faut citer en première ligne ces étudiants fantastiques et vagabonds, qui parcourent l’Espagne en mendiants, et qui sont si connus dans le pays sous le nom d’Estudiantes de la Tuna. Rien n’est amusant comme de voir ces derniers représentants de la vie picaresque se livrer sur leur instrument favori aux variations les plus insensées. Nous aurons, du reste, l’occasion de revenir plus tard sur ces gais descendants de Guzman d’Alfarache.
Le Pandero est donc bien, comme les castagnettes, une des choses d’Espagne : aussi la langue espagnole est-elle d’une richesse remarquable en ce qui concerne les deux instruments favoris du peuple : par exemple, le mot cas-