les Decimas simples ou sin glosar, et les Decimas glosadas ; les unes et les autres se composent de strophes de dix vers ; seulement les premières sont précédées de Glosas ou quatrains, dont chaque vers se répète successivement à la fin des quatre Decimas qui suivent. Voici, comme exemple, une Glosa que nous entendîmes un jour chanter à Ecija, près Séville :
En una cama de ausencia
Cayó enferma mi esperanza.
Lágrimas, tener paciencia,
Que todo el tiempo lo alcanza.
« Dans le lit de l’absence, mon espérance est tombée malade. Mes larmes, prenez patience, car tout arrive avec le temps. »
La première Decima finissait par le vers En la cama de ausencia ; la seconde par cayó enferma mi esperanza, et ainsi de suite, jusqu’à la quatrième ; le chanteur reprend alors une nouvelle glosa, dont chaque vers est répété de la même manière.
Nous avons entendu des Decimas qui n’avaient pas moins d’une trentaine de couplets : ce genre de poésie, qui ne manque pas d’analogie avec nos anciens rondeaux, ressemble aussi à celles qui étaient en vogue au temps de Cervantes, et remonte probablement à cette époque.
Comme nous allions nous retirer, on nous fit observer que nous ne pouvions partir sans voir danser la rondeña, un pas qu’on accompagne ordinairement en chantant les coplas du même nom.
La rondeña fut dansée à ravir par un guapo (élégant du quartier de la Macarena), qui avait pour pareja ou partenaire une jolie moza du même quartier.
Plusieurs chanteurs dirent tour à tour des couplets de rondeñas, parmi lesquels nous remarquâmes celui-ci, dont l’idée nous parut assez ingénieuse :
Hermosa deidad, no llores,
De mi amor no tomes quejas,
Que es propio de las abejas
Picar donde encuentran flores.
« Belle divinité, ne pleure pas, — Ne te plains pas de mon amour, — C’est le propre des abeilles — De piquer ou elles trouvent des fleurs. »
La danse continuait pendant que les couplets se succédaient, et les deux parejas mettaient tant d’ensemble et tant d’harmonie dans leurs pas, qu’un des assistants improvisa la strophe suivante, qu’il chanta sur l’air des rondeñas :
Estos que estan bailando
Que parejitos son !
Si yo fuese padre cura,
Les daba la bendicion.
« Ces deux jeunes gens qui dansent, — Qu’ils sont bien assortis ! — Si j’étais un padre cura, — Je leur donnerais ma bénédiction. »
La rime laissait bien quelque chose à désirer, ce qui n’empêcha pas le poëte d’être fort applaudi. La danse finie, l’assemblée se sépara au choc des verres, et nous quittâmes, fort satisfaits de notre soirée, la taverne du tio Miñarro ; il était près de minuit, les rues étaient obscures et désertes ; quelques-uns de ceux qui avaient pris part à la fête nous offrirent obligeamment de nous accompagner, et nous regagnâmes la Calle de las Sierpes en chantant à demi-voix des playeras et des malagueñas que notre ami Coliron accompagnait en frappant en sourdine les cordes et le bois de son inséparable guitare.
Nous avons déjà dit qu’il n’y a pas de fête andalouse sans danses : c’est dans les ferias (foires) et dans les romerias (pèlerinages) qu’un étranger peut le mieux observer celles qui se dansent en plein air ; on y chercherait vainement des bals publics du genre de ceux qui se transportent chez nous dans toutes les fêtes villageoises, et qui finissent invariablement la soirée. Les Espagnols préfèrent la danse improvisée et en plein air ; l’orchestre ne leur fait jamais défaut : il n’est pas de village, si pauvre qu’il soit, pas de venta (auberge) où l’on ne trouve une guitare ou une bandurria, ayant toutes leurs cordes, ou peu s’en faut : deux jeunes filles et deux garçons de bonne volonté, il n’en faut pas davantage pour armar un baile, — organiser un bal. En outre, les aveugles n’ont guère d’autres ressources que de jouer de la guitare ou du violon, et il n’en manque jamais dans les fêtes ; aussi s’il prend à une moza la fantaisie de se mettre à danser et qu’elle n’ait pas un guitarrero à sa disposition, elle n’a qu’à dire au premier aveugle qui passe :
« Ciego ! Eche uste cuatro cuartos de seguidillas !
« Aveugle ! jouez-nous pour quatre sous de seguidillas ! »
Le ciego ne se le fait pas dire deux fois, et il se met de suite à jouer les seguidillas demandées, accompagnées sur le triangle par le gamin qui lui sert de guide.
Les scènes de ce genre ne manquent pas à la foire de Séville : souvent, c’est devant une de ces tavernes en planches et en toile, comme on en voit tant pendant la feria, que s’improvisent ces danses populaires. Un jour nos regards furent attirés par une de ces tentes ornées d’un luxe extraordinaire de franges, de pompons et de nœuds en calicot blanc et rouge, et au-dessus de laquelle nous lûmes sur un écriteau l’inscription suivante en gros caractères :
Penascaró superior
Se pule con caliá.
Y de misto una taja
Se toma de barbaló.
Ce qui signifiait en bon caló qu’on y vendait d’excellente eau-de-vie et de très-bon vin de Manzanilla ; le maître de la taverne était donc Gitano, à n’en pas douter ; en effet, nous vîmes quelques Gitanas du faubourg de Triana occupées à attacher autour de leurs pouces les cordons de leurs castagnettes, et bientôt, dès qu’une guitare et un pandero eurent marqué les premières me-