administratives. Faute de mieux, on lui avait donné le gouvernement de Nauta et de quatre villages s’y rattachant. À ses fonctions de gouverneur, il joignait celles de maître d’école, de sacristain, de chantre, de cuisinier et de factotum du curé. Une querelle qu’il avait eue avec ce dernier les avait momentanément désunis. La pomme de discorde était un nouveau tribut imposé à la population indigène et que chacun d’eux revendiquait comme sa légitime. Dans le feu de la discussion, le curé avait traité son adversaire de mestison (gros métis), insulte que celui-ci n’avait pu encore digérer. Depuis huit jours que leur querelle avait eu lieu, il s’était abstenu de paraître à l’église et laissait le curé faire sa besogne lui-même.
Ce monstrueux bonhomme s’en alla comme il était venu, verbeux, souriant et plein de confiance en lui-même. Durant mon séjour à Nauta, j’évitai les occasions de le revoir. Mais le curé sut qu’il m’avait rendu visite, et s’empressa de me tourner le dos chaque fois que le hasard nous mit en présence.
Le lendemain, à l’endroit du rivage où j’avais débarqué la veille, je reçus les adieux de Julio et de ses compagnons. Je les vis descendre, poussés par le courant du Marañon, vers l’embouchure de l’Ucayali qu’ils atteignirent sans encombre. Mon ex-rapin devenu mon pilote et mon interprète, emportait, avec mes et mes vœux sans nombre pour les religieux de Sarayacu, une carotte de tabac qu’il avait désiré fumer en souvenir de nos relations amicales.
Nauta, dont il est temps de nous occuper, était, avant de devenir chef-lieu de canton, une mission que les jésuites de Quito avaient fondée au commencement du dix-huitième siècle et qui s’éteignit sans laisser de traces. Un petit village fut édifié sur son emplacement. Pour le peupler, on recourut aux tribus Cocama et Cocamilla déjà catéchisées, lesquelles vivaient à l’embouchure du Huallaga et dans le voisinage de la Grande Lagune. Une partie de ces indigènes vint se fixer à Nauta. Ceux qui restèrent dans leurs établissements du Huallaga ayant eu, plus tard, des démêlés avec les soldats espagnols que le gouvernement d’alors plaçait dans les missions pour prévenir les rébellions des néophytes en même temps que pour les protéger contre les invasions des Indiens sauvages, ces Cocamas vinrent se joindre à leurs compagnons et augmenter d’autant la population de Nauta. Or, les premiers arrivants, usant de leur droit, avaient choisi les meilleures expositions pour y bâtir leurs cases et ensemencé les terrains qui s’y rattachaient. Ceux qui vinrent après eux, ne trouvant plus rien à leur convenance, se refusèrent par paresse à construire et à défricher dans les environs. Mais comme il fallait vivre et se vêtir, les uns se firent rameurs, les autres péons ou pêcheurs et louèrent leurs services aux commerçants de la localité. De là cette population d’un type unique et de même famille qu’on remarque à Nauta et dont une partie est sédentaire et l’autre flottante.
Le village actuel, un peu revu et corrigé, mais non embelli et encore moins augmenté, compte quarante ans d’existence. Il est assis sur le dos d’une de ces lomas ou collines basses qui profilent la rive gauche du Marañon jusqu’au delà de Tabatinga. Ses maisons, d’une architecture et d’un style pareils à celles de Sarayacu, sont au nombre de quarante-neuf, et sur les sept cent cinquante habitants qu’on y compte, il faut distraire deux cent cinquante individus appartenant à la population flottante.
Ce village de l’Amazone, le premier que nous eussions vu jusqu’alors, ne nous donna pas des autres une haute idée. Ces huttes terreuses, orientées au hasard, enfouies dans les halliers et paraissant jouer à cache-cache, cette colline nue, découpant sur le ciel sa lourde silhouette, cette absence d’arbres autour des demeures, cet ensemble pâle, maigre et chétif avaient si bien refroidi notre enthousiasme de voyageur artiste, qu’au moment d’en faire un croquis, nous nous y prîmes à deux fois pour tailler nos crayons.
Comme correctif à la laideur d’aspect que nous lui reprochions, Nauta a l’avantage d’être le port d’eau douce où font échelle les trafiquants de poisson salé, de salsepareille, de chapeaux de paille et de cotons tissés (lonas et tocuyos), qui vont du Pérou à la Barra do Rio Negro et se hasardent même jusqu’au Para. Nauta est en outre